Chemins et rencontres - Hugo von Hofmannsthal
Bonheur manqué
Son regard m'effleura et le me sentis gêné de la fixer ainsi, de si près; j'abaissai ma lunette et me rendis compte alors qu'elle était loin, à l’œil nu rien qu'une tache claire sur des lattes brunes, et qu'elle ne pouvait m'avoir remarqué. Je repris ma lunette et la pointai de nouveau dans sa direction; elle avait une expression distraite dans le regard. A cet instant, je sus deux choses : elle était belle et je la connaissais. Mais d'où ? Je sentis monter en moi quelque chose d’indistinct, de doux, de tendre, venu du passé. J'essayais d'aiguiser ma pensée...
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Les mouvements recèlent un nombre infini de choses : ils sont la langue complexe et délicatement nuancée du corps exprimant le désir complexe et délicat de l'âme qui veut plaire, besoin d'amour mêlé d'un besoin de créer; parler de coquetteries serait bien vulgaire.
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c'était comme si ma vie s'enfuyait, toute essence de mon âme étourdie, sans bruit, ses longues racines profondes, ne laissait rien qu'un vide infini et stupide. Transi, je sentis comme un souffle traverser ce vice. Hébété, à la fois attentif et délié de toute pensée, je voyais s'installer un espace entre nous, bande d'eau vide, pure,...
Les chemins et les rencontres
Et pourtant c'est bien moi qui ai écrit ces lignes, et tout le reste a disparu, il ne reste que ça. Et quelque part en moi, dans les choses que j'ai vécues avant ma troisième année et dont mon souvenir vivace n'a jamais rien su, dans les secret de mes rêves les plus obscurs, dans les pensées qui m'ont assailli par surprise, il n'y a que cet Agur
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Et entre sommeil et veille, je fus submergé par un indicible sentiment de bonheur venu des vastes étendues du monde (avec ses montagnes, ses vallées et ses lacs maintenant balayés par la tempête, dans une demi-obscurité). Je m'enfonçais dans ce sentiment comme dans une douce vague sombre; j'étais à la fois dans le rêve et hors du rêve, par-delà le rêve, dans la demi-clarté de cette nuit pâle, dans cette tempête, sur le large versant d'une haute montagne. Mais c'était bien plus que le versant d'une montagne, c’était un paysage immense, c’était - je ne pouvais le voie mais je le savais - la bordure en terrasse d'un gigantesque plateau, c’était l'Asie
Souvenirs de beaux jours
Debout sur le pont, appuyé sur la pierre lisse et séculaire, je vis deux embarcations s’approcher l'une de l'autre et je pensai soudain à des lèvres retrouvant facilement, comme dans un rêve, le chemin trop longtemps dépris des lèvres de l'être aimé. Je sentais toute la douloureuse douceur de cette pensée mais restais à fleur de conscience, sans pouvoir plonger plus avant dans mon esprit pour savoir à qui j'avais songé au plus profond de moi; c'est alors qu'une pensée me frappa comme un regard qui vous fixe derrière un masque et j'eus l'impression de c'était le regard de Katharina dont je n'avais encore jamais baisé la bouche. Maintenant tout était embrasé; derrière les îles, les nuages semblaient se dissoudre en une vapeur d'or dans un rougeoiement éthéré couronnant cette boule d'or : je me rendis compte que n'était pas seulement le soleil de cette heure mais celui d'années disparues, de siècles entiers.
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C'était un rêve, glissant à chaque réveil dans de nouveaux rêves, posséder et perdre. Je voyais mon enfance très loin comme un profond lac de montagne où j'entrais comme on pénètre dans une maison.
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