L'insurrection qui vient - Comité invisible
Premier cercle « I AM WHAT I AM »
«
JE SUIS CE QUE JE SUIS. » Mon corps m’appartient. Je suis
moi, toi t’es
toi, et ça va mal.
Personnalisation de masse. Individualisation
de toutes les conditions – de vie,
de travail, de mal-
heur. Schizophrénie diffuse.
Dépression rampante. Atomisation
en fines particules paranoïaques.
Hystérisation du contact.
Plus je veux être Moi, plus j’ai
le sentiment d’un vide. Plus je m’exprime, plus je me taris. Plus je me cours après, plus je suis
fatiguée. Je tiens,
tu tiens, nous tenons notre Moi comme un guichet
fastidieux. Nous sommes devenus les représentants de nous-mêmes – cet
étrange commerce, les garants d’une personnalisation qui a tout
l’air, à la fin,
d’une amputation.
Tous les « ça va ? » qui s’échangent
en une journée font songer à autant de prises de température que s’administrent
les uns aux autres une société de patients.
Tout ce qui m’attache au monde, tous les liens qui me constituent, toutes les forces
qui me peuplent
ne tissent pas une identité, comme
on m’incite à la brandir,
mais une existence, singulière, commune, vivante, et d’où émerge par endroits, par moments, cet
être qui dit
« je ».
L’Occident avance partout, comme son cheval
de Troie favori, cette tuante antinomie entre
le Moi et le monde,
l’individu et le groupe, entre attachement et liberté. La liberté n’est pas le geste
de se défaire de nos attachements, mais la capacité pratique à opérer
sur eux, à s’y mouvoir, à les établir
ou à les trancher.
« I AM WHAT I AM », donc, non un simple mensonge, une simple campagne de publicité, mais une campagne
militaire, un cri de guerre dirigé contre tout ce qu’il
y a entre les
êtres, contre tout ce qui circule indistinctement, tout ce qui les lie invisiblement, tout
ce qui fait
obstacle à la parfaite
désolation, contre tout ce qui fait que nous existons
et que le monde n’a pas partout l’aspect d’une auto- route, d’un
parc d’attraction ou d’une ville
nouvelle : ennui pur, sans passion et bien ordonné, espace vide, glacé, où ne transitent plus que des corps immatriculés, des molécules automobiles et des marchandises idéales.
On veut faire de nous des Moi bien délimités, bien séparés, classables et recensables par qualités, bref : contrôlables, quand nous sommes créatures parmi
les créatures, singularités parmi nos semblables, chair vivante tissant la chair du monde.
Contrairement à ce que l’on
nous répète depuis l’enfance,
l’intelligence, ce n’est pas de savoir
s’adapter – ou si c’est
une intelligence, c’est
celle des esclaves.
Deuxième cercle « Le divertissement est un besoin vital »
il n’y a pas de « question de l’immigration ». Qui grandit encore là où il est né ? Qui
habite là où il a grandi? Qui travaille là où il habite? Qui vit là où vivaient ses ancêtres ? Et de qui sont- ils, les enfants de cette époque, de la télé ou de leurs
parents ? La vérité,
c’est que nous avons été arrachés en masse à toute appartenance, que nous ne sommes plus de nulle
part, et qu’il
résulte de cela, en
même temps qu’une inédite disposition au tourisme, une indéniable souffrance. Notre
histoire est celle des colonisations, des migrations,
des guerres, des exils, de la destruction de tous les enracinements.
Nous en sommes arrivés
à ce point de privation où la seule
façon de se sentir Français est de pester contre
les immigrés, contre ceux qui sont plus visiblement des étrangers comme moi. Les immigrés tiennent dans ce pays une curieuse position
de souveraineté : s’ils n’étaient
pas là, les Français n’existeraient peut-être plus.
Ils préfèrent maintenant la métaphore du réseau pour décrire la façon
dont se connectent les solitudes cybernétiques, dont se nouent
les interactions faibles
connues sous les noms de « collègue », « contact », « pote », « relation » ou d’« aventure
». Il arrive tout de même que ces réseaux se condensent en un milieu, où l’on ne partage
rien sinon des codes et où rien ne se joue sinon l’incessante recomposition d’une identité.
Mais passé l’étourdissement amoureux, l’« intimité » tombe sa défroque : elle est elle-
même
une invention sociale,
elle parle le langage
des journaux féminins et de la psychologie, elle est comme le reste blindée de stratégies
jusqu’à l’écœurement.
Troisième cercle « La vie, la santé, l’amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ? »
On déteste les patrons,
mais on veut à tout prix être employé. Avoir
un travail est un honneur,
et travailler une marque de servilité.
Bref : le parfait
tableau clinique de l’hystérie.
Nous ne sommes pas cyniques,
nous sommes juste réticents
à nous faire abuser.
Les dis- cours sur la motivation, la qualité,
l’investissement personnel
glissent sur nous pour le plus grand désarroi de tous les gestionnaires en ressources
humaines. On dit que nous
sommes déçus de l’entreprise, que
celle-ci n’a pas honoré la loyauté de nos parents,
les a licenciés trop lestement. On ment.
La confusion des sentiments qui entoure la question du travail peut s’expliquer ainsi : la notion
de travail a toujours recouvert deux dimensions
contradictoires : une dimension d’exploitation et une dimension de participation. Exploitation de la force
de travail individuelle et collective par l’appropriation privée ou sociale
de la plus-value ; participation à une œuvre commune par les liens qui se tissent entre ceux qui coopèrent au sein de l’uni-
vers
de la production. Ces deux dimensions sont vicieusement confondues dans la notion
de travail, ce qui explique
l’indifférence des travailleurs, en fin de compte,
à la rhétorique marxiste, qui dénie
la dimension de participation, comme
à la rhétorique managériale, qui dénie la dimension d’exploitation.
Les gains de productivité, la délocalisation,
la mécanisation, l’automatisation et la numérisation de la production ont tellement progressé
qu’elles ont réduit à presque
rien la quantité de travail vivant
nécessaire à la confection de chaque
marchandise. Nous vivons le paradoxe d’une société
de travailleurs sans travail, où la dis- traction,
la consommation, les loisirs
ne font qu’accuser
encore le manque
de ce dont ils devraient nous distraire.
L’ensemble des tâches qui n’ont pu être déléguées à l’automation forment
une nébuleuse de postes qui, pour n’être pas occupables
par des machines, sont occupables par n’importe quels humains
– manutentionnaires, magasiniers, travailleurs
à la chaîne, saisonniers, etc. Cette main- d’œuvre flexible, indifférenciée,
qui passe d’une tâche à une autre et ne reste jamais longtemps
dans une entreprise, ne peut plus s’agréger
en une force, n’étant jamais au centre du processus
de production mais comme
pulvérisée dans une multitude d’interstices, occupée à boucher
les trous de ce qui n’a
pas été mécanisé. L’intérimaire est la figure
de cet ouvrier qui n’en est plus un, qui n’a plus de
métier mais des compétences qu’il
vend au fil de ses missions, et dont la disponibilité est encore un travail.
Cette population flottante doit être occupée, ou tenue. Or on n’a pas trouvé
à ce jour de meilleure méthode disciplinaire que le salariat.
Se
produire soi-même est en passe de devenir
l’occupation dominante d’une société
où la production est devenue sans objet
: comme un menuisier que l’on aurait dépossédé de son atelier et qui se mettrait, en désespoir de cause, à se raboter
lui-même.
Si le chômeur qui
s’enlève ses piercings, va chez le coiffeur et fait des « projets » travaille bel et bien « à son employabilité », comme on dit, c’est
qu’il témoigne par
là de
sa mobilisation. La mobilisation, c’est ce léger décollement par rapport à soi, ce minime arrachement à ce qui nous constitue, cette condition
d’étrangeté à partir de quoi
le Moi peut-être pris comme objet
de travail, à partir de quoi il devient
possible de se vendre soi
et non sa force de travail,
de se faire rémunérer non pour ce que l’on fait,
mais pour ce que l’on est, pour notre exquise
maîtrise des codes
sociaux, nos talents
relationnels, notre sourire ou notre façon de présenter. C’est la nouvelle norme
de socialisation.
D’un côté, on fait vivre les
spectres, de l’autre
on laisse mourir les vivants. Telle est la fonction
proprement politique
de l’appareil de production présent.
Quatrième cercle « Plus simple, plus fun, plus mobile, plus sûr ! »
Ils y sont dévolus au tourisme et à la consommation ostentatoire.
La
décence qui oblige
les urbanistes à ne plus
parler de « la ville », qu’ils ont détruite, mais
de « l’urbain », devrait
aussi les inciter
à ne plus parler de «
la campagne », qui n’existe plus. Ce qu’il
y a, en lieu et place, c’est un paysage
que l’on exhibe
aux foules stressées et déracinées, un passé que l’on
peut bien mettre en scène
maintenant que les paysans ont été réduits
à si peu. C’est un marketing
que l’on déploie sur un « territoire » où tout
doit être valorisé ou constitué
en patrimoine. C’est toujours
le même vide
glaçant qui gagne
jusqu’aux plus reculés des clochers.
La métropole est cette mort simultanée de la
ville et de la campagne,
au carrefour où convergent
toutes les classes
moyennes, dans ce milieu de la
classe du milieu, qui, d’exode
rural en « périurbanisation », s’étire
indéfiniment. À la vitrification
du territoire mondial
sied le cynisme
de l’architecture contemporaine. Un lycée, un hôpital, une médiathèque sont autant de variantes
sur un même thème
: transparence, neutralité, uniformité.
La multiplication des
moyens de déplacement et de communication nous arrache sans discontinuer à l’ici et au maintenant, par la tentation de toujours
être ailleurs. Prendre
un TGV, un RER, un
téléphone, pour être déjà là-bas.
Les centres-villes s’y offrent non comme des lieux identiques, mais bien comme
des offres originales d’ambiances, parmi lesquelles nous évoluons, choisissant
l’une, laissant l’autre, au gré d’une
sorte de shopping
existentiel entre les styles
de bars, de gens, de designs,
ou parmi les playlists d’un ipod. « Avec mon lecteur
mp3, je suis maître de mon monde. »
Cinquième cercle « Moins de biens, plus de liens ! »
Trente ans de chômage de masse, de « crise
», de croissance en berne, et l’on voudrait
encore nous faire croire en l’économie.
À force, on a compris ceci : ce n’est pas l’économie qui est en crise, c’est l’économie
qui est la crise ; ce
n’est pas le travail
qui manque, c’est le travail
qui
est en trop ;
tout bien pesé, ce n’est pas la crise,
mais la croissance qui nous déprime.
Sixième cercle « L’environnement est un défi industriel »
L’écologie, c’est la découverte de l’année. Depuis trente ans, qu’on laissait ça aux Verts, qu’on en riait grassement
le dimanche, pour prendre l’air concerné le lundi.
Il
n’y a pas de « catastrophe environnementale ». Il y a cette catastrophe
qu’est l’environnement. L’environnement, c’est
ce qu’il reste
à l’homme quand il a tout perdu.
Ceux qui habitent
un quartier, une rue, un vallon,
une guerre, un atelier, n’ont
pas d’« environnement », ils évoluent dans un monde peuplé de présences, de dangers, d’amis, d’ennemis, de points de vie et de points
de mort, de toutes sortes d’êtres.
Ce monde a sa consistance, qui varie avec l’intensité et la qualité
des liens qui nous attachent à tous ces êtres, à tous ces lieux. Il n’y a que nous, enfants de la dépossession finale, exilés
de la dernière heure – qui viennent
au monde dans des cubes de béton,
cueillent des fruits dans les supermarchés et guettent
l’écho du monde à la télé – pour avoir un environnement. Il n’y a que nous pour assister
à notre propre
anéantissement comme s’il s’agissait d’un simple
changement d’atmosphère. Pour s’indigner
des dernières avancées du désastre, et en dresser patiemment
l’encyclopédie.
Un problème
global, c’est-à-dire un problème dont seuls ceux qui sont organisés globalement peuvent détenir la solution. Et ceux-là, on les connaît. Ce
sont les groupes qui depuis
près d’un siècle
sont à l’avant-garde du désastre
et comptent bien le rester,
au prix minime d’un changement de logo. Qu’EDF ait
l’impudence de nous resservir son
programme nucléaire comme
nouvelle solution à la crise énergétique mondiale
dit assez combien
les nouvelles solutions ressemblent aux anciens problèmes.
« C’est à chacun que revient de changer ses com-
portements
», disent-ils, si l’on veut sauver notre beau modèle civilisationnel. Il faut consommer peu pour pouvoir encore
consommer. Produire bio pour pouvoir encore produire. Il faut s’autocontraindre pour pouvoir encore
contraindre. Voilà
comment la logique d’un monde
entend se survivre
en se don- nant des airs de rupture
historique. Voilà comment
on voudrait
nous convaincre de participer
aux grands défis industriels du
siècle en marche.
L’écologie n’est
pas seulement la logique de l’économie totale, c’est aussi la nouvelle morale du Capital. L’état de crise interne
du système et la
rigueur de la sélection en cours sont tels qu’il
faut à nouveau un critère au nom duquel opérer de pareils tris. L’idée de vertu n’a jamais été, d’époque
en époque, qu’une
invention du vice.
On ne pour- rait, sans l’écologie, justifier l’existence dès aujourd’hui de deux filières d’alimentation, l’une « saine
et biologique» pour les riches et leurs petits, l’autre notoirement toxique pour la plèbe et ses rejetons
promis à l’obésité. L’hyper-bourgeoisie planétaire ne saurait faire passer pour respectable son train de vie si ses derniers caprices
n’étaient pas scrupuleusement « respectueux de l’environnement ». Sans l’écologie, rien n’aurait
encore assez d’autorité pour faire taire
toute objection aux progrès
exorbitants du contrôle.
Le nouvel ascétisme bio est le contrôle
de soi qui est requis de
tous pour négocier
l’opération de sauvetage à quoi le système s’est lui-même acculé.
C’est au nom de l’écologie qu’il
faudra désormais se ser-
rer la ceinture, comme hier au nom de l’économie.
Septième cercle « Ici on construit un espace civilisé »
En un siècle, la liberté, la démocratie et la civilisation ont été ramenées
à l’état d’hypothèses. Tout le travail
des dirigeants consiste
dorénavant à ménager les conditions matérielles et morales, symboliques et sociales où ces hypothèses sont à peu près validées, à configurer des espaces où elles
ont l’air de
fonctionner. Tous les moyens sont bons à cette fin,
y compris les moins démocratiques, les moins civilisés, les plus sécuritaires. C’est qu’en un siècle la démocratie a régulièrement présidé
à la mise au monde des régimes
fascistes, que la civilisation n’a cessé de rimer,
sur des airs de Wagner
ou d’Iron Maiden,
avec extermination, et que la liberté prit un jour
de 1929 le double visage
d’un banquier qui se défenestre et d’une famille
d’ouvriers qui meurt de faim. On a convenu depuis lors
– disons : depuis 1945 – que la manipulation des masses, l’activité des services secrets, la restriction des libertés
publiques et l’entière souveraineté des différentes polices appartenaient aux moyens propres à assurer
la démocratie, la liberté et la civilisation. Au dernier
stade de cette évolution, on a
le premier maire
socialiste de Paris
qui met une dernière main à la pacification urbaine,
à l’aménagement policier d’un quartier populaire, et s’ex- plique en mots soigneusement calibrés
: « Ici on construit
un espace civilisé.
» Il n’y a rien à y redire, tout à y détruire.
C’est une thèse
défendue et défendable que la littérature moderne naît avec Baudelaire, Heine et Flaubert, comme contrecoup du massacre d’État de juin 1848. C’est dans le sang des insurgés pari- siens et contre
le silence qui entoure la tuerie que naissent les formes littéraires modernes – spleen, ambivalence,
fétichisme de la forme et détache- ment
morbide. L’affection névrotique que les Français vouent à leur République – celle au nom de quoi toute bavure retrouve
sa dignité, et n’importe quelle
crapulerie ses lettres
de noblesse – prolonge à chaque instant le refoulement des sacrifices fondateurs. Les journées de juin 1848 – mille cinq cents morts durant
les combats, mais plusieurs milliers d’exécutions sommaires parmi les prisonniers, l’Assemblée qui accueille
la reddition de la dernière barricade au cri de «Vive la République !» – et la
Semaine sanglante sont des taches de naissance qu’aucune chirurgie n’a l’art
d’effacer.
Il n’y a pas de « choc des civilisations ». Ce qu’il
y a, c’est une civilisation en état de mort clinique, sur laquelle on déploie tout un appareillage de sur- vie
artificielle, et qui répand dans l’atmosphère planétaire une pestilence caractéristique. À ce point, il n’y a pas une seule
de ses « valeurs » à quoi
elle arrive encore à croire en quelque façon,
et toute affirmation lui fait l’effet d’un acte d’impudence,
d’une provocation qu’il
convient de dépecer, de déconstruire, et de ramener à l’état de doute.
L’impérialisme occidental, aujourd’hui, c’est
celui du relativisme, du c’est ton « point
de vue », c’est
le petit regard en coin ou la protestation blessée contre tout ce qui
est assez bête,
assez primitif ou assez suffisant pour croire encore à quelque
chose, pour affirmer
quoi que ce soit.
EN ROUTE !
Il n’y a pas à s’engager dans tel ou tel collectif citoyen,
dans telle ou telle impasse d’extrême gauche, dans la dernière
imposture associative. Toutes les organisations qui prétendent contes- ter l’ordre présent ont elles-mêmes, en plus fantoche, la forme, les mœurs et le langage
d’États miniatures. Toutes les velléités
de « faire de la politique autrement
» n’ont jamais
contribué, à ce jour,
qu’à l’extension indéfinie des pseudopodes étatiques.
Il n’y a plus à réagir aux nouvelles du jour, mais à comprendre chaque information comme une opération dans un champ hostile de stratégies
à déchiffrer, opération
visant justement à susciter
chez tel ou tel, tel ou tel type de réaction ; et à tenir cette opération pour la véritable
information conte-
nue dans l’information apparente.
Il n’y a plus à attendre
– une éclaircie, la révolution, l’apocalypse nucléaire ou un mouvement social. Attendre
encore est une folie. La catastrophe n’est pas ce qui vient, mais ce qui est là. Nous nous situons d’ores
et déjà dans le
mouvement d’effondrement d’une civilisation. C’est là qu’il faut prendre parti.
Ne plus attendre, c’est d’une manière
ou d’une autre entrer dans la logique insurrectionnelle. C’est entendre à nouveau, dans
la voix de nos gouvernants, le léger tremblement de terreur qui
ne les quitte jamais.
Car gouverner n’a jamais été autre
chose que repousser par mille subterfuges le moment où la foule
vous pendra, et tout acte de
gouvernement
rien qu’une façon
de ne pas perdre le contrôle de la population.
SE TROUVER
Ne pas reculer devant
ce que toute
amitié amène de politique
On nous a fait à une idée neutre
de l’amitié, comme
pure
affection sans conséquence. Mais toute affinité est affinité dans une
commune vérité.
Ne rien attendre des organisations. Se défier
de tous les milieux existants, et d’abord d’en devenir un
Bien plus redoutables sont les milieux, avec leur
texture souple, leurs ragots et leurs hiérarchies informelles. Tous les
milieux sont à fuir. Chacun d’entre eux est comme préposé à la neutralisation d’une vérité. Les milieux littéraires sont là pour étouffer
l’évidence des écrits.
Les milieux libertaires celle de l’action
directe. Les milieux scientifiques pour retenir ce que leurs recherches
impliquent dès aujourd’hui
pour le plus grand nombre.
Les milieux sportifs pour contenir dans leurs
gymnases les différentes formes de vie que
devraient engendrer les différentes formes de sport.
Sont tout particulièrement à fuir les
milieux culturels
et les milieux militants. Ils sont les deux mouroirs où viennent traditionnellement s’échouer tous les désirs de révolution. La tâche des milieux
culturels est de repérer les intensités naissantes et de vous soustraire, en l’exposant, le sens de ce
que vous faites
; la tâche des milieux
militants, de vous ôter l’énergie de le faire.
INSURRECTION
Saboter
toute instance de représentation. Généraliser la palabre.
Abolir les
assemblées générales
Nous subissons là le mauvais
exemple des parlements bourgeois. L’assemblée n’est pas faite pour
la décision mais pour la palabre,
pour la parole
libre s’exerçant sans but.
Le besoin de se rassembler est aussi constant, chez les humains, qu’est rare la nécessité de décider. Se rassembler répond à la joie d’éprouver une puissance commune.
Décider n’est vital
que dans les situations d’urgence, où l’exercice de la démocratie est de toute
façon compromis. Pour
le reste du temps,
le problème n’est
celui du « caractère
démocratique
du processus de prise de décision » que
pour les fanatiques de la procédure. Il n’y a pas à critiquer les assemblées ou à les déserter,
mais à y libérer
la parole, les gestes et les jeux entre les êtres. Il suffit
de voir que chacun n’y vient pas seulement avec un point
de vue, une motion, mais avec
des désirs, des attachements, des capacités, des forces, des tristesses et une certaine disponibilité. Si l’on parvient
ainsi à déchirer
ce fantasme de l’Assemblée Générale au profit d’une telle assemblée des présences, si l’on parvient
à déjouer la toujours renaissante tentation de l’hégémonie, si l’on
cesse de se fixer la décision comme
finalité, il y a
quelques chances que
se produise une
de ces prises en
masse, l’un de ces phénomènes de cristallisation collective
où une décision
prend les êtres, dans leur totalité
ou seulement pour partie.
Il en va de même pour décider
d’actions. Partir du
principe que « l’action doit ordonner le déroulement d’une
assemblée », c’est
rendre impossible tant le bouillonnement du débat que l’action efficace. Une assemblée
nombreuse de gens étrangers les uns aux autres
se condamne à commettre des spécialistes de l’action,
c’est-à-dire à délaisser
l’action pour son contrôle.
D’un côté, les mandatés
sont par définition entravés dans leur
action, de l’autre, rien ne les empêche de berner tout le monde.
Bloquer
l’économie, mais mesurer notre puissance de blocage à notre niveau d’auto-organisation
Tout bloquer, voilà désormais le premier réflexe de tout ce qui se dresse
contre l’ordre présent. Dans une économie délocalisée, où les entreprises fonctionnent à flux tendu, où la valeur dérive de la connexion au réseau, où les autoroutes sont des maillons
de la chaîne de production dématérialisée qui va de sous-traitant en sous-traitant et de
là à l’usine de montage,
bloquer la production, c’est
aussi bien bloquer la circulation.
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