La
dynamique de la révolte – Eric Hazan
Prologue
Sous
l’influence de Foucault en particulier, les notions un peu obèses du discours
philosophico-politique – pouvoir, répression, domination – se sont
émiettées et la lutte des classes elle-même a pris un sérieux coup de vieux.
Tout cela a eu un effet salubre mais ce qui en a émergé, c’est ce qu’il est
convenu d’appeler la philosophie postmoderne, d’un terme qui a son origine dans
l’architecture. Française d’origine (Lyotard, mais aussi Foucault, à mon sens
le premier des postmodernes), elle s’est développée dans les milieux
universitaires anglo-saxons et nous est revenue en boomerang. Les cultural, subaltern et autres studies
ont répandu l’idée que seules comptent les luttes des minorités, des
stigmatisés, des exilés de l’intérieur. Du coup, les révolutions passées, dont
l’histoire ordinaire repose sur des catégories héritées du marxisme (« les
masses », « les classes »…), se sont trouvées remisées au
placard.
Politisation
La
tradition veut que le premier appel aux armes, le dimanche 12 juillet
1789, ait été crié par Camille Desmoulins, un avocat, condisciple de
Robespierre au lycée Louis-le-Grand. C’est possible, mais ceux qui vont s’armer
et se porter en masse vers la Bastille, ceux-là ne sont pas des lecteurs de
Montesquieu.
Rapport
de force
Il
est dans la nature de toute insurrection d’être en situation d’infériorité à
l’heure de son déclenchement – moins nombreuse, moins bien armée, moins
bien organisée que le camp d’en face.
Pour
les faire éclater, il faut faire monter la pression jusqu’au point où une
partie du corps policier ne supportera plus la haine qu’on lui porte. Ceux qui
vont flancher, ce sont les « flics de base », mal payés, maltraités
par leur hiérarchie, qui sont des exploités comme les autres et même davantage.
Parlementarisme
Dans
la démonstration que le parlementarisme fonctionne comme fossoyeur des
mouvements populaires, il existe un argument, certes a
contrario mais de taille. Jusqu’à présent, l’Occident n’a connu que deux
grandes révolutions victorieuses, la Révolution française et la révolution
russe de 1917 (j’écarte la révolution anglaise dont le triomphe en 1688 fut une
restauration monarchique sous contrôle néerlandais). Or, au cours de ces deux
révolutions dont les péripéties n’ont pas altéré l’éclat, le parlementarisme a
été évité, ou défait quand il était installé.
Avant-garde
Les
insurrections des xxe et
xxie siècles sont trop
nombreuses et trop diverses pour donner à la question une réponse simple. Je
proposerai de les répartir en trois groupes : celles dont l’on peut dire
que certainement non, elles n’ont pas été lancées ni
dirigées par un parti organisé ; celles où la réponse serait oui, mais : oui, un tel parti a bien existé et joué un
rôle, mais pas celui qu’on lui attribue
d’ordinaire ; enfin les insurrections où la réponse est oui, sans restriction. Pour justifier ce classement sans
doute trop schématique, je m’étendrai sur certaines de ces histoires, au risque
de lasser ceux qui les connaissent dans tous les détails.
Le
programme, rédigé par Plekhanov et Lénine, comporte pour la première fois le
mot d’ordre de la « dictature du prolétariat ». Mais sur la question
des statuts, deux tendances s’opposent, l’une dirigée par Martov (un bundiste),
qui soutient l’idée d’un parti largement ouvert à toutes les forces
révolutionnaires et qui ne refuse pas le concours des bourgeois libéraux,
l’autre dirigée par Lénine, pour qui le parti ne peut être qu’une avant-garde
disciplinée et homogène. Après de longs débats, la tendance de Lénine l’emporte
grâce au retrait du Bund, qui quitte alors le parti social-démocrate. C’est la
scission entre bolcheviks (ou majoritaires) et mencheviks, qui n’est pas une
question de personnes mais une divergence essentielle entre deux façons de
mener l’action révolutionnaire.
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