jeudi 2 avril 2020

La dynamique de la révolte – Eric Hazan


La dynamique de la révolte – Eric Hazan

Prologue
Sous l’influence de Foucault en particulier, les notions un peu obèses du discours philosophico-politique – pouvoir, répression, domination – se sont émiettées et la lutte des classes elle-même a pris un sérieux coup de vieux. Tout cela a eu un effet salubre mais ce qui en a émergé, c’est ce qu’il est convenu d’appeler la philosophie postmoderne, d’un terme qui a son origine dans l’architecture. Française d’origine (Lyotard, mais aussi Foucault, à mon sens le premier des postmodernes), elle s’est développée dans les milieux universitaires anglo-saxons et nous est revenue en boomerang. Les cultural, subaltern et autres studies ont répandu l’idée que seules comptent les luttes des minorités, des stigmatisés, des exilés de l’intérieur. Du coup, les révolutions passées, dont l’histoire ordinaire repose sur des catégories héritées du marxisme (« les masses », « les classes »…), se sont trouvées remisées au placard.

Politisation
La tradition veut que le premier appel aux armes, le dimanche 12 juillet 1789, ait été crié par Camille Desmoulins, un avocat, condisciple de Robespierre au lycée Louis-le-Grand. C’est possible, mais ceux qui vont s’armer et se porter en masse vers la Bastille, ceux-là ne sont pas des lecteurs de Montesquieu.

Rapport de force

Il est dans la nature de toute insurrection d’être en situation d’infériorité à l’heure de son déclenchement – moins nombreuse, moins bien armée, moins bien organisée que le camp d’en face.

Pour les faire éclater, il faut faire monter la pression jusqu’au point où une partie du corps policier ne supportera plus la haine qu’on lui porte. Ceux qui vont flancher, ce sont les « flics de base », mal payés, maltraités par leur hiérarchie, qui sont des exploités comme les autres et même davantage.

Parlementarisme

Dans la démonstration que le parlementarisme fonctionne comme fossoyeur des mouvements populaires, il existe un argument, certes a contrario mais de taille. Jusqu’à présent, l’Occident n’a connu que deux grandes révolutions victorieuses, la Révolution française et la révolution russe de 1917 (j’écarte la révolution anglaise dont le triomphe en 1688 fut une restauration monarchique sous contrôle néerlandais). Or, au cours de ces deux révolutions dont les péripéties n’ont pas altéré l’éclat, le parlementarisme a été évité, ou défait quand il était installé.

Avant-garde

Les insurrections des xxe et xxie siècles sont trop nombreuses et trop diverses pour donner à la question une réponse simple. Je proposerai de les répartir en trois groupes : celles dont l’on peut dire que certainement non, elles n’ont pas été lancées ni dirigées par un parti organisé ; celles où la réponse serait oui, mais : oui, un tel parti a bien existé et joué un rôle, mais pas celui qu’on lui attribue d’ordinaire ; enfin les insurrections où la réponse est oui, sans restriction. Pour justifier ce classement sans doute trop schématique, je m’étendrai sur certaines de ces histoires, au risque de lasser ceux qui les connaissent dans tous les détails.


Le programme, rédigé par Plekhanov et Lénine, comporte pour la première fois le mot d’ordre de la « dictature du prolétariat ». Mais sur la question des statuts, deux tendances s’opposent, l’une dirigée par Martov (un bundiste), qui soutient l’idée d’un parti largement ouvert à toutes les forces révolutionnaires et qui ne refuse pas le concours des bourgeois libéraux, l’autre dirigée par Lénine, pour qui le parti ne peut être qu’une avant-garde disciplinée et homogène. Après de longs débats, la tendance de Lénine l’emporte grâce au retrait du Bund, qui quitte alors le parti social-démocrate. C’est la scission entre bolcheviks (ou majoritaires) et mencheviks, qui n’est pas une question de personnes mais une divergence essentielle entre deux façons de mener l’action révolutionnaire.



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