Le bonheur - Robert Misrahi
INTRODUCTION
LE BONHEUR AUJOURD’HUI
LA SAGESSE HEUREUSE
Le « présent authentique » comporte toutes ces dimensions et ces tensions créatrices, et c’est pourquoi la Ce qu’il appelle la « catégorie Espérance » rend compte de tous les aspects et de toutes les implications de l’activité de la conscience présente : elle est par essence tournée vers l’avenir et, par définition, vise en cet avenir un bien suprême, une extrême satisfaction, ou la réalisation d’un rêve.
La « catégorie Espérance » se livre d’abord à la réflexion comme étant la présence active et actuelle du « non-encore-réalisé ». La conscience est, par sa structure la plus décisive, toujours habitée par le « non-encore-réalisé » et toujours tournée vers le « front du possible ». Les différentes couches de la catégorie de la possibilité, ainsi que les significations « horizon », « Novum », ou « front », constituent les modalités concrètes du rapport à l’avenir, et c’est ce rapport riche et multiple à l’avenir qui constitue le présent même de la conscience. Ainsi l’action véritable est la mise en œuvre, par la conscience, d’un certain nombre d’attitudes qui rendent compte du lien du présent à l’avenir : le « nouveau », le « devant nous », le « médiatisé » sont des contenus dynamiques et constants de l’activité.conscience est « mouvement ».
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Le second axe de la réflexion d’Ernst Bloch illustre bien, par ses réalisations effectives, le sens de cette conscience anticipante. C’est l’imagination qui, alors, entre en jeu. Elle est la médiation entre le désir et l’œuvre, à la fois puissance d’anticipation et puissance de réalisation, puissance visionnaire et puissance créatrice. La richesse des analyses et de la culture d’Ernst Bloch est immense. L’auteur part des rêves éveillés les plus simples, et des désirs vitaux les plus élémentaires, pour parcourir tous les domaines de la création humaine qui permettent de constater l’existence et l’efficacité de ce constant désir d’un avenir si parfait qu’il est comme un bien et un bonheur suprêmes.
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Ernst Bloch nous appelle au désir de l’extrême et sait nous montrer que seul ce désir est créateur de réalité. Et en ce désir, en cette réalité humaine auto-créatrice, ce qui prend forme est la plénitude parfaite de l’accord avec soi-même. Chesterton, cité par Ernst Bloch, écrivait : « L’homme qui n’a pas, constante à l’esprit, une image optative desa propre perfection, est aussi monstrueux qu’un homme sans nez. » L’image « optative » désigne ici l’image idéale de soi-même, celle qui, parmi plusieurs autres, serait à la fois préférée et souhaitée, désirée comme incarnation de sa propre perfection à construire.
LA SIGNIFICATION EXISTENTIELLE DE L’ÉTHIQUE
L’ÉTHIQUE COMME CHOIX DU PRÉFÉRABLE
Plénitude de la satisfaction, liberté de l’existence choisie, signification réfléchie et qualitative des choix, permanence de la densité et de la substantialité existentielles: toutes ces riches déterminations constituent ensemble une expérience si considérable, que les acceptions ordinaires du terme « bonheur » sont insuffisantes et ne permettent pas de la définir. Aussi parlerons- nous d’une expérience d’être, et nous désignerons souvent cette expérience par le terme de joie.
Cette « expérience d’être » n’est pas l’expérience mystique d’un Etre transcendant que nous saisirions dans la nuit de l’intelligence et dans l’extase de l’âme; elle n’est pas l’expérience de l’Etre, elle est l’expérience d’être. Comme telle, elle est la conscience qualitative et réfléchie de soi-même, conscience vécue où l’individu se saisit comme personnalité substantielle et active.
Dans cette expérience, le sujet n’est plus morcelé ou dispersé entre plusieurs personnalités (qui opposent, par exemple, la vie professionnelle et la création, l’activité utilitaire et l’activité esthétique, la relation bureaucratique et la relation authentiquement personnelle). 11 est au contraire unifié, en même temps qu’il unifie ces diverses activités par son propos existentiel principal. La personnalité unifiée se saisit alors comme adhésion affirmative à soi-même, et cette adhésion, vécue comme satisfaction ou bien-être existentiel, peut être saisie comme une espèce de permanence joyeuse de sa propre identité. C’est cette intuition continuelle de soi qui peut être métaphorisée par le terme très fort de « substance » (comme Victor Segalen parle de « joie substantielle » au cours de ses voyages). Cela ne signifie pas que la conscience soit devenue une « chose », mais que le mouvement temporel de la conscience n’est plus synonyme de destruction perpétuelle du sujet par les instants qui passent et pure instabilité de la négation temporelle1. Bien au contraire, le sujet ne se saisit plus comme manque mais comme plénitude, il n’est pas projeté hors de lui-même dans la souffrance ou dans l’ennui, dans l’inconsistance ou dans l’éphémère, il est, au contraire, dans la permanence d’une identité et d’une présence à soi dynamique et unifiée qui est comme l’expérience qu’un être ferait de lui-même comme activité d’être. Ce plaisir existentiel, cette conscience d’être et d’exister comme sujet et comme vie, nous l’appelons la joie.
II LE DÉSIR ET SA CONVERSION
LES DEUX FORMES DU DESIR
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Jusqu’ici, nous n’avons envisagé le désir que d’une façon globale. Nous avons vu qu’il est la source du mouvement même de notre vie vers un stade de plénitude et de signification qui conférerait au sujet ce bonheur fait de liberté et de satisfaction, bonheur que nous avons désigné par le terme de Préférable et qui recouvre l’expérience d’être et d’agir libérée de toutes les pesanteurs de la passivité. Nous pouvons maintenant préciser cette analyse.
Le désir est le matériau fondamental du bonheur. Il est son élément à la fois premier et fondateur, c’est-à-dire à la fois l’origine chronologique du mouvement vers l’être et le matériau dans lequel sera taillé et construit cet être. Ce dernier terme, que nous emploierons souvent, désigne pour nous la plénitude existentielle et significative qu’on appelle ordinairement bonheur; c’est dans la substance du désir, et en tant que désir actif et comblé, que cet être, ce bonheur vont s’instaurer. Le désir est donc à la fois Vorigine et le but, c’est lui qui constitue la source énergétique de notre mouvement vers l’être et le matériau même de cet être à instaurer.
En d’autres termes, cela signifie qu’il n’y a pas en l’esprit humain d’autre réalité fondamentale que le désir : il est l’origine et la source en même temps que le but et le terme. Il est la vie et le mouvement, mais aussi le terme et la destination. C’est dire, à l’évidence, que la même situation sc présente avec le désir, que celle qui s’était présentée avec la liberté : si la fin est déjà au commencement, pourquoi poursuivre cette fin ? Si le bonheur ne se réfère qu’au désir comblé, pourquoi ne pas se limiter au désir tel qu’il est déjà donné, en s’efforçant seulement de le satisfaire et de le combler? Pourquoi, dès lors, ne pas borner l’éthique du bonheur à un calcul des plaisirs comme chez Jeremy Bentham?
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C’est ce désir, ce sont ces passions qui forment l’origine du mouvement vers le bonheur : le désir est, en effet, par essence désir de sa propre satisfaction et c’est en ce désir que la conscience libre de premier niveau puise son aspiration vers le bonheur et la substance de son monde imaginaire. Le désir est alors le fondement, comme socle et condition, comme source et origine, de l’itinéraire vers le bonheur.
Mais de là découlent aussi ces conceptions frustes du bonheur, qui identifient celui-ci avec la plus grande satisfaction possible du plus grand nombre possible de plaisirs; ces conceptions, d’inspiration matérialiste, entraînent leurs auteurs à entériner la souffrance issue des passions et à la lier tragiquement au bonheur (comme le fait Nietzsche), ou bien à entériner l’aveuglement de ces passions en faisant de « l’égoïsme du moi » la valeur suprême (c’est le cas de Stirner). En réalité, ces doctrines ne produisent ni le bonheur ni la joie; le plaisir, en elles, ne conduit qu’à la guerre, à la violence et à la destruction.
La vérité est que le désir, même en sa première forme qui est celle de la spontanéité, est tout autre chose qu’un simple instinct vital ou un mécanisme psycho-physiologique. Il est la forme et le matériau de la liberté, parce qu’il est le déploiement concret d’un mouvement de la conscience qui est aussi un mouvement du corps et de l’esprit, mouvement par lequel un sujet pose des fins qui ont un sens pour lui et qui constituent à ses yeux des buts désirables, c’est-à-dire des valeurs.
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Tout au contraire, le désir est le mouvement charnel et conscient qui poursuit la réalisation d’une signification librement posée comme telle et constituée comme valeur désirable. C’est ce libre mouvement créateur de sens, poursuivant une joie sensible, qu’on peut observer aussi bien dans la recherche d’un emploi que dans la préparation d’un voyage, dans la fabrication culinaire que dans la création des jardins, dans l’amour d’un autre que dans la composition musicale.
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Le désir spontané était la source et l’origine de l’itinéraire du bonheur : il devient maintenant son propre matériau, c’est-à-dire le matériau premier sur lequel il y a lieu d’agir et qu’il y a lieu de transformer pour hausser ce désir insatisfait au niveau d’une seconde forme du désir où il serait satisfait et comblé. De même que la liberté première décide de construire une éthique pour se hausser au niveau d’une liberté intégrale, de même le désir premier se prend lui-même pour le matériau avec lequel et à partir duquel il se reconstruira comme désir comblé, comme second désir accordé à lui-même.
LA CONVERSION DL! DÉSIR PAR LA RÉFLEXION
11 convient toutefois d’être prudent. Il ne saurait être question d’invoquer une faculté de réflexion qui serait distincte de la « faculté de désirer », comme on le voit chez Platon et Aristote, chez Descartes et Kant. La critique de ces « facultés » a été fort bien faite par Spinoza. Et la phénoménologie a fort bien établi que la conscience est une, et que les grandes fonctions dites « psychologiques » (perception, imagination, mémoire, etc.) sont chacune le Tout de la conscience, orientée vers certaines fins, dans une certaine attitude, et animée en chaque acte par une « intentionnalité » spécifique.
S’il n’existe pas de fonction ou de faculté distinctes qui seraient la raison ou la réflexion, il faut donc reconnaître que l’activité de dédoublement qui définit la réflexion et qui est inscrite dans l’auto-anticipation du sujet et dans son auto-construction doit faire partie intégrante du libre désir.
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Cette analyse ne signifie pas que le désir de premier niveau soit déjà la réflexion dans la plénitude de son acception; la personnalité et le désir affectifs spontanés ne sont ni réflexifs ni rationnels, au sens strict. Cependant, le désir (dynamisme affectif de la personnalité entière) comporte toujours soit une confirmation de soi, une adhésion réitérée à son mouvement et à ses buts, soit une contestation de soi, une critique et une transformation de ses buts et de ses fins.
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Le libre désir, fût-il de premier niveau, est déjà conscience de désirer (et donc présent à soi-même) et conscience d’un but désiré (et donc défini par concepts implicites) et valorisé, c’est-à- dire positivement jugé et estimé désirable. Cette réflexivité est partout présente: quand je choisis un menu, quand j’attends un autobus donné et non un autre, quand je retiens des places au concert, je déploie un désir concret (me nourrir, me déplacer, me réjouir) qui implique en même temps une conscience non réflexive de moi-même, une présence à moi-même et au monde, c’est-à- dire un léger dédoublement intérieur, et enfin une activité rationnelle élémentaire de choix, de sélection et d’évaluation. Le libre désir est ici réflexivité parce qu’il est un léger commencement de réflexion et une légère activité intellectuelle de jugement, en même temps qu’une conscience de sa propre présence dans ces activités.
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Prenons un exemple simple. L’individu anarchique et « épicurien », impulsif et velléitaire peut éprouver un jour la douleur extrême d’une prise de conscience : l’insatisfaction de ne rien créer, la révolte devant la violence anarchique des autres, la fragilité éphémère de ses plaisirs peuvent brusquement se révéler dans une crise comme étant l’intolérable. Sans culpabilité, l’individu découvre alors brusquement que sa propre vie ne correspond pas le moins du monde à la vie enthousiasmante et riche de signification qui, seule, serait une « vraie vie » et qui réaliserait ce bonheur ou cette joie qu’il poursuit en vain depuis si longtemps. Cette crise peut être le commencement d’une nouvelle vie, et ce commencement est précisément la conversion dont nous parlons.
Elle est simultanément un travail réflexif de prise de conscience et la ferme détermination d’accéder à la joie. Cette conversion est donc réflexive, en ce sens qu’elle est opérée à l’aide de la réflexion, mais elle est aussi existentielle en ce sens quelle est l’œuvre du désir concret lui- même, et quelle se propose d’instaurer la condition d’une existence joyeuse. Elle est le choix ferme et réfléchi d’une existence non plus tragique ou vaine, mais significative et comblée.
Ce choix n’est pas une simple décision: il est la connaissance réflexive du fait que le sujet dispose des forces nécessaires à son entreprise. La conversion philosophique (aussi bien affective qu’intellectuelle, aussi bien existentielle que réflexive) est par elle-même la conscience de sa propre liberté et de sa propre efficacité comme conscience et comme désir.
Pourquoi ne pas parler simplement de décision ou d’acte de la volonté? Ces termes sont inadéquats car ils impliquent l’idée de faculté psychologique, alors que c’est l’ensemble du sujet, dans son intégralité existentielle, qui est ici concerné. Toute la personnalité se mobilise dans cet acte de conversion qui va commencer une nouvelle vie.
Une seconde raison justifie le choix du terme de conversion, malgré sa difficulté ou son ambiguïté, simplement apparentes d’ailleurs. Ce terme implique l’idée d’un mouvement circulaire sur soi-même, semblable à celui qu’effectue le prisonnier de la Caverne chez Platon. Cette conversion est donc un renversement radical: mais il est opéré par la conscience, et non par le corps (au sens où il se produirait une transformation des « pulsions » par une causalité « mécanique » et physiologique).
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La conversion philosophique est donc un véritable commencement. Plus précisément, il s’agit d’une sorte de « seconde naissance », pour reprendre une métaphore religieuse, mais à laquelle nous donnons un nouveau sens.
Dans cette seconde naissance (la première naissance ayant été induite par l’éducation, la culture et la maturation de la personnalité par son propre effort), l’individu réfléchi et existant, lucide et dynamique devient enfin capable de s’instaurer comme origine de sa propre vie : il s’agit de la mise en œuvre et de l’effectuation d’un projet d’autonomie, mais aussi de la visée concrète d’un nouveau contenu qualitatif de l’existence.
LES TÂCHES DE LA CONVERSION
La conversion philosophique est donc l’instrument (ou la démarche) qui nous permettra de réaliser concrètement le bonheur. Cette conversion, désignons-la aussi par les expressions de « décision réflexive », ou de « renversement réflexif ».
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La conversion est réflexive en un double sens : comme médiation et travail intellectuel, mais aussi comme reflet optique et réfléchissement en miroir.
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Par la conversion va s’opérer au contraire un renversement et une inversion des perspectives intellectuelles du sujet: l’emploi désiré ou le diplôme recherché ne sont plus valables en eux- mêmes, mais valables pour le sujet, c’est-à-dire par le sujet.
La levée des contraintes
Nous répondrons à ces deux dernières objections dans et par un seul mouvement : nous définirons la joie et le bonheur dans notre nouvelle perspective (concrète par le désir, conceptuelle par la réflexion) et nous montrerons comment inscrire dans la réalité ces contenus nouveaux. Ainsi définition et réalisation formeront un seul et même acte.
LES CONTENUS DE LA JOIE ET L’EXISTENCE HEUREUSE
LE BONHEUR ET LA JOIE
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Le bonheur est ainsi Inexpérience d’être: appréhension réflexive et qualitative du déroulement même de son existence comme signification et comme achèvement, par un sujet individuel qui dépasse son présent vers le Tout de sa vie et appréhende celle-ci à la lumière de son expérience actuelle.
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Nous disons en outre que cet acte est substantiel. Ce terme a ici valeur de métaphore tout en étant intelligible. L’acte de la joie autonome est en effet vécu et saisi comme une plénitude, et celle-ci confère au sujet une densité qualitative et personnelle, une consistance et une cohésion internes. La joie est alors l’appréhension de soi comme désir comblé, la réjouissance simultanée à propos du monde et à propos de sa propre attente comblée. Le manque (vécu dans la séparation ou la privation, ou l’inquiétude) a disparu, et le sujet se saisit alors comme achèvement. Non pas qu’il arrête le cours temporel de sa conscience, mais parce qu’il éprouve en lui la présence de la satisfaction désirée qui, en effet, le comble. Son désir, réfléchi comme autonomie et accord avec soi-même, se saisit comine plénitude de la satisfaction par l’obtention de l’objet, ou de l’être, ou de la situation attendus.
LES DIFFÉRENTS ACTES DE LA JOIE
La philosophie comme activité
L’amour comme réciprocité
Le désir d’exister pleinement par la fondation réflexive et joyeuse de soi-même ne saurait se limiter à l’établissement des premières fondations. L’activité philosophique ne peut donner la satisfaction permanente et profonde qu’on peut attendre d’elle que si elle ouvre la vie du sujet vers les autres consciences.
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Nous ne devons pas oublier que nous sommes situés après la décision et le renversement réflexifs que nous appelons conversion. Cette conversion philosophique ne consiste pas seulement à nous fonder réflexivement nous-mêmes et à effectuer le choix de l’existence positive, elle consiste aussi à construire de toutes nouvelles relations à autrui, relations qui seraient désormais source de joie et non pas de souffrance.
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Il s’agit ici, pour chacune des consciences engagées dans la relation, de prendre fortement conscience du phénomène essentiel de la relation, et qui est la réciprocité. Celle-ci n’est pas la simple relation quotidienne de réversibilité et d’équivalence inverse, relation rationnelle (parfois guerrière et conflictuelle) qui permet l’instauration des contrats commerciaux ou diplomatiques en construisant l’intérêt commun des contractants sur la base de l’équivalence de leurs statuts et de la relation de chacun envers l’autre. Alors que cette réversibilité (ou réciprocité juridique) est rationnelle, la réciprocité amicale ou amoureuse est existentielle.
L’action réfléchie
Les sujets instaurés dans la cohésion interne, dans la signification de la vie et dans l’intensité de la joie par le déploiement même de l’amour, sont en mesure de s’ouvrir au monde. Fondé sur la réflexion et la réciprocité, cet amour fonde à son tour, c’est-à-dire rend possible, l’action.
La jouissance du monde : to enjoy the world
De la relation vive, intuitive et réfléchie, que constitue l’amour authentique, vont découler de nombreuses conséquences. Les contenus de la joie, et donc les strates ou les noyaux d’activité constitutifs du bonheur d’être, vont se multiplier et s’étendre.
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Il s’agit de la joie d’être au monde: joie d’être, joie prise au monde, joie issue de la conscience d’exister pleinement dans un monde significatif et intense. Pour atteindre ce niveau d’intensité existentielle, il est évidemment nécessaire de lier pensée et sensibilité.
a) Le plaisir
Par l’amour et la philosophie, les sujets peuvent en effet s’ouvrir au plaisir d’une façon neuve.
b) La contemplation
La joie substantielle s’incarne alors dans une nouvelle activité qui confère aux sujets accordés une dimension et une jouissance nouvelles : la contemplation, la jouissance active de la fréquentation des œuvres d’art, devient alors un
nouvel élément de cette unité de la sensibilité et de la pensée qui fait entrer les consciences dans le domaine du sens et dans le monde de la jouissance « spirituelle ».
Définissons celle-ci d’une façon non métaphysique, c’est-à-dire sans relation avec l’affirmation d’un hypothétique monde absolu situé au-delà de notre monde et qui serait l’objet d’une vision spirituelle également hypothétique, comme dans les systèmes de Platon ou de Plotin. Par le terme commode de contemplation, nous désignerons plutôt l’attitude désintéressée, non utilitaire, capable de considérer et de « regarder » notre monde réel dans une perspective esthétique et poétique. Car, pour se réjouir du monde, il faut être en mesure de le saisir aussi bien comme le lieu de notre déploiement existentiel et pratique que comme un spectacle ou comme une réalité forte et dense qui nous réjouit par la forme et la substance qualitative de sa présence. C’est cette expérience contemplative qui est mise en œuvre dans l’audition d’une musique, l’admiration d’un paysage, ou l’émerveillement réfléchi devant une œuvre écrite ou picturale. Nous disons bien: « mise en œuvre ».
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Parce que la contemplation est active (comme dans la lecture de la poésie ou l’admiration de la nature), et parce que l’action est réfléchie (comme dans l’instauration de certaines valeurs ou l’édification de certaines œuvres), on peut dire qu’elles sont toutes deux sources de joie, parce quelles expriment toutes deux le dynamisme de la conscience se réjouissant de sa propre activité.
c) La création
C’est par la création que la conscience est en mesure de se réjouir de sa propre activité. Par la création, la conscience manifeste la réalité effective de l’acte qui la constitue. Elle ne cesse d’être un flux vital, ou une chose mécanique, que lorsqu’elle se saisit et lorsqu’on la saisit comme acte, mais cet acte qui fait la spécificité de la conscience n’est manifeste que si, au-delà d’une simple activité, il est en mesure de créer.
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