mardi 9 décembre 2025

Je suis ce qui manque - Dionys Mascolo

Je suis ce qui manque - Dionys Mascolo

Nous commençons par être plusieurs et nous finissons par n’être qu’un (de par la triste obligation médiane de devenir quelqu’un?).

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En ce sens, le public, les applaudissements comptent pour peu (sauf pour les « artistes » de variétés peut-être). La passion du comédien n’est certainement pas la recherche de l’admiration publique. Mais celle de cette dépersonnalisation, recherche très personnelle, très « érotique » dont il est presque impudique pour lui de parler. Son désarroi, s’il ne joue plus, doit être d’être rendu à lui-même, au seul « personnage » justement auquel il lui soit pénible de s’identifier.

Suspension du flux de conscience. Monologue intérieur interrompu.

-    Si je pense à quelque chose en jouant du piano, je commets faute sur faute.

-    Si me viennent des pensées, jouant à la roulette, le jeu perd tout attrait.

-    De même, si de la pensée prend corps, au volant, roulant vite, la peur me saisit, la vitesse devient une imbécile absurdité.

- Et de même, dans l’approche érotique, l’impuissance me guette.

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« Faire l’amour ». « Faire de l’humour ». Faire de la poésie. Médiocrité de ce langage, du verbe faire - médiocrité de ces actions.

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« J'écrirai ». — J’en suis toujours à me renouveler cette promesse. Demain. Puis demain. Et toujours me sentir des bombes plein les poches.

Le drame. Il n’est pas de ne pas savoir quoi dire, ni de constater qu’au fond le pire drame est la difficulté de rendre compte du drame (constatation d’abord amère, quand on aurait voulu penser que c’était à partir d’un drame profond que vient le désir de recourir à la parole écrite pour en témoigner), difficulté qui semble devenir bientôt la seule - le drame profond perdu de vue, ou mêlé. Le drame vécu, en définitive, c’est : ne pas avoir encore trouvé par quel biais faire que le drame ne soit pas simplement le drame d’écrire.

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[1983]

Écrivant, je ne me trouve pas moins « fou » qu’il y a vingt ans, lorsqu'écrire me conduisait en effet à la démence sans espoir, et que la peur me forçait d’interrompre. Mais aujourd’hui en même temps, je suis tranquille. Je suis parvenu en somme à contrôler cette folie. La peur ne me fait pas défaut cependant

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Ce que j’aime peut-être le mieux en moi, c’est la femme que je suis. Ce qui n’est pas sans me faire connaître une vraie solitude, proche du secret. Car ce n’est qu’exceptionnellement qu’elle parvient à se faire apprécier, ou même apercevoir. Il faut donc croire qu’elle n’est pas très apparente. Elle est néanmoins le meilleur de moi.

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Valéry - Cahiers. — À sa mort. Je m'attendais à la révélation prochaine d'écrits scandaleux (par l’audace). Au lieu de quoi, ces pauvretés complaisantes et sèches. À l'heure sublime de l'aube, qu'il aurait déshonorée si elle pouvait l’être, 50 ans durant, ce Pécuchet appliqué ! Misère. Et ce soupçon : le plus grand esprit (aucun grand esprit) n’a sans doute encore Jamais été assez possédé par l’esprit.

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Une pensée te vient. Tu l'exprimes. Elle devient ta pensée. Elle ne l’était donc pas (n'était pas ).

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Nous commençons par être plusieurs et nous finissons par n’être qu’un (de par la triste obligation médiane de devenir quelqu’un?). 

Mémoires d'un névropathe - Schreber

Mémoires d'un névropathe - Schreber

[6]    L’âme humaine est contenue dans les nerfs du corps; profane, je ne puis en dire davantage sur leur nature physique, sinon que ce sont des formations d’une finesse extraordinaire — comparables aux fils de soie les plus ténus —, et c’est sur leur faculté d’être stimulés par des impressions d’origine extérieure que repose la vie spirituelle de l’homme dans son ensemble. Les nerfs sont alors portés à des fréquences vibratoires qui produisent les sensations de plaisir et de désagrément d’une façon qu’on ne peut expliquer plus avant; ils ont la propriété de conserver le souvenir des impressions reçues (mémoire humaine) et le pouvoir en même temps de disposer les muscles du corps qu’ils habitent à n’importe quelle activité, par la tension de leur énergie volontaire. Ils se développent depuis les commencements les plus tendres (en tant qu’embryon humain, en tant qu’âme d’enfant) en un système très complexe (l’âme de l’homme mûr) embrassant les domaines les plus étendus du savoir humain. Une partie des nerfs ne sert qu’à enregistrer les impressions des sens (nerfs de la vue, de l’ouïe, du toucher, de la volupté, etc.) et ne sont donc aptes à transmettre que des sensations de lumière, de bruit, de chaud et de froid, de faim, de volupté et de couleur, etc.; d’autres nerfs, (les nerfs de l’entendement) reçoivent et conservent les impressions mentales et, en tant qu’organes de la volonté, donnent

[7]    à l’ensemble de l’organisme de l’homme l’impulsion nécessaire aux manifestations de sa prise sur le monde extérieur. Il semble en outre que la situation soit telle que chaque nerf de l'entendement pris séparément puisse représenter l'ensemble de l'individualité spirituelle de l'homme, que sur chaque nerf de l’entendement se trouve pour  ainsi dire inscrite la totalité des souvenirs, et que le nombre plus ou moins grand des nerfs de l’entendement n’influe que sur la durée pendant laquelle ces souvenirs peuvent être conservés.

Aussi longtemps que l’être humain demeure en vie, il est tout à la fois corps et âme. Le corps, dont le fonctionnement correspond pour l’essentiel à celui des animaux supérieurs, nourrit les nerfs (l’âme de l’homme) et les maintient dans leur vivacité. Si le corps perd sa vitalité, les nerfs passent à cet état d’inconscience que nous appelons mort et qui est déjà en germe dans le sommeil. Mais il n’est pas dit pour autant que l’âme se soit réellement dissoute; les impressions reçues restent bien plutôt fixées en les nerfs; l’âme ne fait pour ainsi dire que passer, comme beaucoup d’animaux inférieurs, par un sommeil hivernal, et elle est susceptible d’être éveillée à une nouvelle vie selon un processus que nous examinerons plus loin.

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 Les entraves à la liberté de pensée de l’homme, ou plus exactement  à la liberté de penser-à-rien, qui sont au principe même du jeu forcé de la pensée, se sont substantiellement aggravés au cours des années, [223] en ceci que les paroles des voix prennent un tempo de plus en plus lent. Cela est en rapport avec l’accroissement de volupté d’âme dans mon corps et avec — en dépit de tous systèmes de prise de notes — la pénurie de ces matériaux langagiers dont les rayons doivent disposer  obligatoirement pour pouvoir effectuer le franchissement de cette distance immense qui sépare de mon corps les corps célestes éloignés, auxquels ils sont appendus.

Celui qui n’a pas vécu personnellement l’expérience des prodiges dont je parle, ne peut guère se faire une idée du degré de ce ralentissement. Un « mais certes » prononcé M-m-m-m-ai-ai-ai-ai-ais c-c-c-e-e-e-e-e-r-r-r-t-e-es », ou un « Pourquoi donc ne ch...-vous pas»  prononcé « P-ou-ou-ou-ou-f-qu-o-o-o-o-oi d-d-on-onc n-e-e-e-e- ch-.........................    -v-ou-ou-ou-ous p-a-a-a-as? », demande pour sortir complètement au moins trente à soixante secondes chaque  fois. Cela provoquerait forcément de la nervosité impatiente chez  tout un chacun, au point qu’on finirait par sortir de ses gonds, à  l’on ne s’était pas, toujours plus, ingénié à trouver les moyens de défense appropriés; l’exemple d’un juge ou d’un professeur incapables, malgré leurs efforts, de tirer d’un témoin faible d’esprit ou  d’un élève bègue l’expression claire de ce que les interrogés veulent dire ou de ce qu’ils sont censés répondre, peut seul sans doute donner un faible reflet des tourments passant toute mesure qui sont occasionnés à mes nerfs.

Le piano, et la lecture des livres ou des journaux — pour autant Bique l’état de ma tête le permette —, sont les principaux moyens défensifs par lesquels je parviens à faire s’évanouir les voix les plus étirées en longueur; pour les moments, la nuit par exemple, où cela n'est guère commode, ou bien quand un changement d'occupation devient une nécessité pour mon esprit, j'ai trouvé dans la remémoration de poèmes un heureux stratagème. 

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 L’obligation de ramener tout à moi et donc, par voie de conséquence, de ramener à moi tout ce que les autres peuvent dire, pesait tout spécialement sur moi pendant la promenade quotidienne au jardin de l’asile. Et, de ce fait, il m’a toujours paru particulièrement pénible de rester  au jardin; à cette obligation qui m’était faite, se rattachent les scènes de brutalité qui ont pu éclater ces dernières années entre d’autres pensionnaires de l’asile et moi-même. Depuis longtemps déjà, la volupté d’âme est devenue si intense dans mon corps que c’est toujours presque instantanément que se produit la réunion de tous les rayons qui prépare et amène le sommeil; voilà pourquoi, depuis des années déjà, on ne me laisse plus jamais deux minutes en paix sur un banc : fatigué par des nuits plus ou moins sans sommeil, très vite je tomberais de sommeil; on est donc obligé immédiatement de déclencher les fameuses « perturbations » (voir chap. x), qui vont garantir aux rayons leurs possibilités de repli hors de ma personne. Ces « perturbations » s’effectuent parfois sur un mode anodin : On suscite par voie de miracle des insectes (voir chap. xviii) appartenant aux variétés que j’ai évoquées, mais aussi on va faire en sorte que d’autres pensionnaires de l’asile m’adressent la parole ou occasionnent toutes sortes de bruits, et de préférence dans mon voisinage immédiat. Ici aussi, la mise en branle des nerfs de ces gens est commandée par voie de miracle, cela ne souffre pas, pour moi, de doute; [266] en effet, chaque fois que ce phénomène se produit (chap. vu et xv), je ressens à chaque parole qui est prononcée un coup porté à ma tête, qui s’accompagne d’une douleur plus ou moins intense.

 

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Monsieur M. » (se reporter au chap. v, note 26). Naturellement il y a des répits tout de même, pendant lesquels ne se manifeste aucun miracle dirigé contre ma personne, et où les rayons qui ont la faculté de lire dans mes pensées ne peuvent y repérer aucune « pensée de décision » précise de me livrer à telle ou telle occupation; répits, en d’autres termes, pendant lesquels je peux me laisser aller à ne penser à rien; ainsi par exemple la nuit lorsque je veux dormir, ou dans la journée lorsque je me repose un moment, ou lorsque je me promena au jardin sans penser à rien, etc. C’est justement à combler ces temps morts (c’est-à-dire pour que les rayons aient quelque chose à articuler,

 même pendant ces pauses) que sert le matériel de prise de notes, qui  consiste par conséquent en mes propres pensées passées, auxquelles  on a fait quelques adjonctions de formules qui ne me sont en rien personnelles, plus ou moins dépourvues de sens et en partie injurieuses,  d’insultes vulgaires, etc. Je joindrai peut-être en annexe au présent à ouvrage une anthologie de ces formules pour donner au lecteur tout au moins une vague idée des insanités que mes nerfs ont dû supporter pendant tant d’années.

Les formules blessantes et les gros mots ont pour but tout spécial

de me pousser à parler à voix haute, et par là de rendre le sommeil impossible aux heures qui y sont favorables — cette tactique de barrage du sommeil, tout comme celle qui consiste à empêcher la volupté d’âme, atteint à un art consommé, tout en restant totalement obscure sur l'essentiel des buts qu’elle poursuit. Le système de prise de notes a pu permettre, en dehors de cela, d’échafauder un stratagème qui relève, lui aussi, d’une méconnaissance profonde des modes de la pansée humaine. On avait cru pouvoir épuiser avec le système de prise de notes mon potentiel de pensées — un moment arriverait, croyait-on, où je ne pourrais plus produire une seule pensée nouvelle; vision des choses évidemment complètement absurde, tant il est vrai que la pensée humaine jamais ne s'épuise; sans arrêt sont sucitées ». de nouvelles pensées qu’apporte la simple lecture d’un livre, d’un journal.  

 

Les schizophrènes - Racamier

Les schizophrènes - Racamier

3. De la folie dans la schizophrénie

Où l'on voit que folie n'est pas encore psychose 

 Or, c’est un de ses meilleurs travaux que Searles (1959-1965) a consacré à décrire, dans ses techniques et ses motifs, l’effort de rendre l’autre fou — définissant cet effort comme « ce qui tend à activer différents secteurs de la personnalité en opposition l’un contre l’autre ». Précisons, quant à nous, cette définition beaucoup trop vague : pour rendre fou, il faut activer chez l’autre des tendances inconciliables sans qu’elles puissent ni se disjoindre ni se rencontrer : nous verrons plus tard que telle est au juste la définition clinique du paradoxe.

Il décrit différentes méthodes :

—    faire rapidement alterner chez l’autre excitation et frustration (sexuelle ou autre);

—    engager l’autre avec force et simultanément dans  des registres relationnels tout à fait hétérogènes et incompatibles entre eux (comme cette schizophrène jolie, qui entraîne vigoureusement l’analyste dans une haute discussion philosophique, tout en affichant des poses érotiques peu résistibles);

— changer imprévisiblement d’humeur ou de « longueur d’onde affective » (comme cette mère qui sort du temple dans l’extase et aussitôt après jette un vase à la tête de son fils — et celui-ci plus tard, quand on lui parlera de sa mère, protestera qu’il n’en a pas une seule, mais une foule).



On le voit : les stratégies de la folie font perdre confiance au moi dans la perception qu’il a des autres et de soi. Nous verrons bientôt que le processus est encore plus complexe, car perception et fantasme sont  concernés du même coup.

Réussie ou non, l’imposition de la folie ressortit à  différents motifs : équivalent de meurtre; expulsion dans autrui de quelque chose au-dedans de soi qui est  trop pesant, ou ressenti comme fou; quête de l’âme-sœur pour apaiser un sentiment de solitude; révélation  d’une folie latente obscurément pressentie chez  l’autre; et, par-dessus tout, lutte contre l’autonomie de l’autre, et préservation d’une relation "symbiotique" .

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4.    Omnipotence omnipotence créatrice
Où l'on voit le travail du vide éviter la perte du réel

 

d’une omnipotence inanitaire

Si vous rencontrez un schizophrène pendant des années, il vous arrivera plus d’une fois de vous trouver saisi par une action psychique d’une espèce très particulière, et parfois d’une force irrésistible. Face à lui, vous vous sentirez insidieusement effleuré, gagné puis envahi par un sentiment d’insignifiance. Il vous semblera que non seulement vos paroles, mais votre pensée, et enfin toute votre personne sont non seulement dénuées de sens, mais vidées de signifiance. Il ne reste de vous qu’une coquille emplie de vide. Ce n’est pas là l’impression la plus agréable qu’on puisse éprouver, et nous verrons un peu plus loin que d’ordinaire on s’en défend farouchement : tout vaut mieux qu’une telle plénitude de vacuité.

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Elle est menée par le regard et par les propos; elle est insidieuse et térébrante; c’est comme un laser qui viderait la substance de l’objet, ne laissant de lui qu’une dépouille; ainsi voit-on parfois des troncs d’arbres rongés par dedans : debout, mais vidés. Il n’est pas inutile de remarquer que cette inanisation vise moins à détruire l’objet qu’à juste le vider de sens et d’intérêt.

Ce qu’on décrit là se distingue donc de l’investissement micropsique de l’objet, tel qu’on le voit dans la manie, et se distingue aussi bien du désintérêt par désinvestissement, tel qu’il s’observe chez les déprimés, qui en souffrent; de l’inanité, bien au contraire, c’est l’objet qui souffre, tandis que triomphe le sujet qui l’impose — mais on verra bientôt que la formule se complique.

L’inanité n’est pas exactement ce déni d’existence, ce retrait d’investissement ou cette destruction fantasmatique, et vécue, de l’objet, que l’on connaît par Freud, ou par M. Klein. D’ailleurs le déni complet fait le vide tout autour de son objet, comme fait le refoulement en attirant à lui les représentations connexes, tandis que l’inanisation attaque l’objet « à cœur ».

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On voit par là que, paradoxalement, l’inanité est pour le malade une façon de préserver l’objet; de le surmonter absolument ; de l’isoler, et enfin de l’avoir exclusivement à soi.

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5.    De deux ou trois réalités
Où l'on voit le schizophrène aux prises avec l'impossible choix entre son monde et son Moi

C’est ainsi, on le sait, que les schizophrènes sont organisés — et souvent avec succès — pour que rien ne change en eux ni autour d’eux, tant ils éprouvent d'angoisse devant quelque changement que ce soit, qui non seulement compromettrait leur système économique, mais les exposerait à la dissolution narcissique.

Il va de soi qu’à leurs yeux le psychanalyste est détestable pour les changements qu’il ne promet pas mais que, pire, il promeut (cf. Searles, 1961-1965).

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L’objet, pour un psychotique, voilà donc l’ennemi. Il est ennemi parce qu’il existe : le danger pour un psychotique est bien d’être aspiré par et dans l’objet — aspiré, donc absorbé. Que l'objet devienne dangereux de par les projections qui lui sont envoyées, nous le savons ; mais un danger plus radical est tapi sous ces péripéties importantes : l’objet est ennemi du seul fait j d’être investi.

S’il est haïssable et haï, c’est parce qu’il est aimé. De là, pour l’essentiel, cette confusion que font si souvent les psychotiques entre l’amour et la haine — une confusion qui n’est pas à confondre avec de l’authentique ambivalence.

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Le combat avec le réel, c’est la grande affaire des schizophrènes; pas plus qu’ils n’en supportent l’attrait, ils n’en supportent l’absence. Peu conformes aux idées reçues, on exposera deux modalités d’organisation de leur rapport au réel et à l’objet.

1. L’engrènement est la première. — Chacun sait que vivant comme des machines, ils projettent à cette image celle de leur corps (Tausk). Machine est également leur objet. Le psychotique et son objet : machine et machine aux rouages engrenés. Les vicissitudes de l’identification projective illustrent une évidence : il n’arrive rien au sujet qui n’arrive à l’objet, et vice versa. Ce fonctionnement se traduit par un vécu d’intrusion. Intrusion de l’objet, intrusion par l’objet se suivent, s’enchaînent et parfois s’entremêlent. Avec les schizophrènes, nous entrons dans un monde  d’intrusion réciproque. (Il en est de même avec les caractères paranoïdes.)

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Délirer dans le réel

On se souvient du couple complémentaire que nous avons vu se mettre à l’œuvre entre l’utilisation surréalitaire (narcissiquement perversive) d’un objet réel, et le recours également surréalitaire à une néoformation délirante. C’était, disions-nous, l’un ou l’autre; c’était en fait l’un puis l’autre; et enfin c’était l’un avec l’autre. Ce dernier modèle est le mieux illustré par les relations du schizophrène avec sa mère. Dans certains cas, remarquables en ce qu’ils sont à cheval sur les deux méthodes, un délire se crée, mais au lieu d’instaurer une néo-réalité et d’inventer sa coquille, il se glisse comme un bernard-l’ermite et se tapit dans le tissu d’une réalité objectivement présente; c’est ce que j’appelle délirer dans le réel. Je ne désigne pas ainsi les délires interprétatifs : toute interprétation est une construction, surtout quand elle déraille. Mais je pense à ceux qui délirent dans des objets bien réels, de telle sorte que les contours de leur délire se confondent avec « l’hôte » où il se loge et qu’il faut une observation exercée pour l’apercevoir et le cerner.

Ce sont des délires intimes et discrets : murmures de délire infiltrés dans les choses.

 Deux cas : l'objet de contenance délirante est «extérieur, il peut consister dans une machine, qui diffèrent de celle de Nathalie en ce qu'elle est concrète — mais qu’elle se dérobe, cette machine, et le patient fera un accès aigu, dépressif ou délirant.

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6.    De la séduction narcissique

Où l'on démontre que 1 + 1 = 1 = infini

 

8. Schizophrénie et paradoxalité
Où    l'voit les schizophrènes donner une réponse inédite à la question de Hamlet 

 

Les Confessions du chevalier d’industrie Félix Krull - Thomas Mann

Les Confessions du chevalier d’industrie Félix Krull - Thomas Mann

 

L’émotion que nos sens communiquent à notre esprit est sans aucun doute plus vive que celle qui lui vient de la parole.

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Ma faculté de contemplation était à cette époque tout mon trésor, mon unique bien, elle avait une portée éducatrice, déjà dans la mesure où elle prenait pour objet les choses matérielles, les étalages, séduisants et instructifs du monde.

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La culture ne s’obtient point par un labeur obtus et intensif, elle est le produit de la liberté et de l’oisiveté extérieure; on ne l’acquiert pas, on la respire. Des éléments cachés sont à l’œuvre. Une secrète application, des sens et de l’esprit fort conciliable avec une flânerie presque, totale en apparence, sollicite journellement les;richesses de cette culture et l’on peut dire qu’elle vient à l’élu en dormant. 

La conscience de Zeno - Italo Svevo

La conscience de Zeno - Italo Svevo

 

Ecrivez! Ecrivez! Vous constaterez à quel point vous réussirez à vous voir en entier. 

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J’ai cinquante-sept ans, et je suis sûr, si je ne cesse pas de fumer ou si la psychanalyse ne me guérit pas,
que mon dernier regard, à mon lit de mort, sera l’expression de mon désir pour mon infirmière, à condition que ce ne soit pas ma femme et que ma femme ait permis qu’elle soit jolie !
Je fus aussi sincère qu’à confesse. Les femmes ne me plaisaient pas en bloc, mais… en détail ! Chez toutes, j’aimais les petits pieds bien chaussés, chez un grand nombre, le cou, frêle ou puissant, les seins légers. Je continuais l’énumération des parties anatomiques du corps féminin quand le docteur m’interrompit :
— Eh bien, mais toutes ces parties font une femme entière. 
 

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Lorsque j'admire quelqu'un, j'essaie immédiatement de lui ressembler.

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Dans mes rêves, je l’embellis, même physiquement, avant de la passer à quelqu’un d’autre. En réalité, dans ma vie, je courus après bien des femmes et nombre d’entre elles se laissèrent même attraper. Mais, en rêve, je les attrapai toutes. Naturellement, je ne les embellis pas en modifiant leurs traits, mais je fais comme un de mes amis, un peintre très délicat : quand il fait le portrait de jolies femmes, il pense aussi, intensément, à d’autres belles choses ; par exemple, à de la porcelaine très fine. C’est un rêve dangereux, car il peut conférer un autre pouvoir aux femmes dont on a rêvé, qui, lorsqu’on les revoit à la lumière réelle, conservent quelque chose des fruits, des fleurs et de la porcelaine dont on les a parées.