A.B.C. de la lecture - Ezra Pound
La METHODE correcte pour étudier la poésie et les belles-lettres est la méthode utilisée par les biologistes contemporains, c'est-à-dire d'abord un examen attentif du sujet, puis une COMPARAISON incessante entre les deux « coupes » de microscope ou entre les deux échantillons.
Ceci, néanmoins, est la SEULE METHODE pour étudier la poésie, la littérature, ou la peinture. En fait c'est ainsi que l'élite du public ETUDIE la peinture. Si vous voulez en savoir long sur la peinture, allez donc à la National Gallery, ou au Salon Carré, ou au Brera, ou au Prado, et REGARDEZ les tableaux.
La littérature est du langage chargé de sens.
« La grande littérature est tout simplement du langage chargé de sens au plus haut degré possible » (E. P. in How to Read).
Le Langage a été manifestement créé pour — et sert manifestement à — la communication.
« La littérature est une somme d'informations qui restent des informations. »
Les bons écrivains sont ceux qui gardent au langage son efficacité, c'est-à-dire ceux qui en conservent la précision et la clarté. Il importe peu que le bon écrivain veuille être utile, ou que le mauvais écrivain veuille faire du tort aux gens.
Un peuple qui croît dans l'habitude d'une mauvaise littérature est un peuple sur le point de lâcher prise sur son empire et sur lui-même. Et ce laisser-aller n'est en rien aussi simple et aussi scandaleux qu'une syntaxe abrupte et désordonnée.
Et le bon écrivain choisit ses mots en fonction de leurs significations. Mais la signification d'un mot n'est pas faite tout d'une pièce, n'est pas définie aussi exactement que le mouvement d'un cavalier ou d'un soldat sur un échiquier. Elle surgit avec des racines, avec des associations. Elle dépend du lieu et de la manière dont le mot a été communément utilisé, elle dépend aussi de ses utilisations brillantes ou qui valent la peine d'être conservées.
Si vous partez, en littérature, à la recherche 'd'éléments purs', vous finirez par découvrir que la littérature a été créée par les groupes de personnes suivants:
1. Les inventeurs. Des hommes qui ont trouvé de nouveaux procédés, ou dont l'œuvre constitue le premier exemple connu d'un nouveau procédé.
2. Les maîtres. Des hommes qui ont réuni un certain nombre de ces procédés, et qui les ont utilisés aussi bien ou mieux que les inventeurs.
3. Les vulgarisateurs. Des hommes qui sont venus après les précédents, et qui n'ont pas fait aussi bien qu'eux.
4. Les bons écrivains mineurs. Des hommes qui ont eu la chance de naître à une époque faste de la littérature de leur pays, ou bien à une époque où certaine branche de la littérature 'se portait bien'. Par exemple, ceux qui ont écrit des sonnets à l'époque de Dante, ou de courtes pièces de vers au temps de Shakespeare ou au cours des quelques décades suivantes, ou bien encore ceux qui, en France, écrivirent des romans ou des récits après que Flaubert leur eut montré comment faire.
5. Les hommes de lettres. C'est-à-dire ceux qui n'ont pas vraiment inventé quelque chose, mais qui se sont spécialisés dans un genre quelconque de littérature. On ne peut pas les considérer comme de 'grands hommes', ni comme des auteurs qui ont tenté de donner une représentation complète de la vie ou, plus simplement, de leur époque.
6. Ceux qui font la mode.
Le langage est un moyen de communication. Nous avons déjà dégagé les trois procédés les plus importants pour charger le langage de sens, et ceci au plus haut degré possible:
1. Projeter l'objet (fixe ou en mouvement) jusque sur l'imagination visuelle.
2. Produire des corrélations émotionnelles par le bruit et le rythme du discours.
3. Produire les deux sortes d'effets précédemment décrits en stimulant les associations (intellectuelles ou émotionnelles) qui demeurent dans la conscience du receveur en relation avec les mots ou les groupes de mots réels employés
Le premier moyen, le plus simple, pour un lecteur de tester un auteur sera de rechercher les mots qui ne fonctionnent pas, qui ne contribuent en rien au sens ou qui distraient du plus important facteur de sens en faveur de facteurs de moindre importance.
Quand on se met a écrire on imite toujours quelque chose qu'on a entendu ou lu.
La majorité des écrivains ne dépasse jamais ce stade.
Si les critiques ont en vain dépensé tant de rancœur c'est qu'ils n'ont pas su distinguer entre deux sortes d'écriture totalement différentes:
A. Les livres qu'on lit pour développer son intelligence, pour améliorer son savoir et percevoir mieux, et plus vite, qu'auparavant.
B. Les livres qui sont destinés et qui servent au repos, ou qu'on utilise comme stimulants ou calmants.
On ne dort pas sur un marteau ni sur une tondeuse à gazon. On n'enfonce pas des clous avec un matelas, alors pourquoi faudrait-il appliquer les mêmes critères à des livres aussi différents dans leurs buts et leurs effets qu'une tondeuse à gazon et un coussin de divan ?
L'expérience m'a appris que, dans l'état présent et imparfait de ce monde, il faut tout expliquer au lecteur. J'ai fait une erreur impardonnable dans mes desseins. Mon livre avait un but et je croyais que le lecteur le verrait.
La seule manière de lire Whitman c'est de se concentrer sur sa signification la plus profonde. Si vous voulez néanmoins pousser plus loin la dissection de son langage vous trouverez sans doute que Whitman s'est trompé non pas parce qu'il a fait éclater les 'règles' de son époque, mais parce qu'il s'attache spasmodiquement à telle ou telle chose; parce qu'il use de temps à autre d'un mètre 'régulier', ou d'un bout de langage littéraire ou encore parce qu'il place les adjectifs, là où ils ne sont jamais dans le langage parlé. Il n'écrit vraiment bien que quand il s'est débarrassé de tout ce barbelé.
Le mauvais dessinateur fait du mauvais dessin parce qu'il ne sent pas les relations d'espace et qu'il est incapable de les maîtriser.
Le mauvais poète fait de la mauvaise poésie parce qu'il ne perçoit pas les relations de temps. Il est incapable d'en jouer de manière intéressante, par le moyen des brèves et des longues, des syllabes dures ou molles et des diverses qualités du son qui sont inséparables des mots de son discours.
Il attend que ça lui tombe du ciel ? Il compte maîtriser son art sans s'être donné un minimum de peine, ce minimum de peine qu'un simple musicien devrait se donner pour arriver à jouer convenablement du cor dans un orchestre. Sans cela le résultat serait souvent méprisé, et ce serait justice, par les membres sérieux de la profession.
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