Américains
d’Amérique – Gertrude Stein
Voici donc l’histoire d’un grand nombre d’hommes et de femmes, du commencement à la fin de leur vie ; ceux-ci posséderont donc l’ultime ressource de vie que donne l'histoire. Mais un jour, tous ceux qui furent, sont, ou seront; tous ceux qui ont en eux-mêmes une bribe de vie, recevront l’ultime ressource que donne l’histoire. Un jour, je le sens, il y aura un récit de tous les hommes, d’un bout à l'autre de leur vie, et tous recevront cette ultime ressource de vie que donne l’histoire.
Lorsqu’on étudie les gens, dans leur vie quotidienne, on se sent persuadé que chez tout être vraiment vivant, se produit une répétition, qui se manifeste de plus en plus au cours de la vie, et on se sent aussi persuadé qu’un jour sera relatée l’histoire de tous les êtres, donnant ainsi à leur existence une finale consécration.
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On trouve partout des répétitions. On trouve partout un commencement et une fin. On trouve partout un élément de stupidité. On trouve partout quelqu’un qui comprend l’être de chacun. D’ordinaire, chacun connaît l’être de quelqu'un. Parfois on comprend l’être de beaucoup de gens qui vous entourent. Certains ne comprennent rien à personne. Il y a beaucoup de façons de comprendre l’être des gens et cette reconstruction en est une.
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J’ai beaucoup de mal à me servir dans mon récit d’un mot nouveau. Tous les mots que j’emploie sont chargés de vie et de sens, et chaque expression neuve me donne un sentiment très étrange. Parfois, je prends un mot tout neuf : parfois de nouvelles interprétations se révèlent dans un mot ancien ; j’aime ces mots à faces diverses, dont on a souvent l’occasion de se servir, et qui pour chacun de nous ont un sens un peu différent. J’aime qu’on puisse, en haussant plus ou moins la voix, modifier le sens d’une phrase qu’on vient de lire. Quand j’écris une phrase, elle répond en moi à un seul sens, mais l’inflexion de la voix peut la modifier complètement. Je suis embarrassée devant chaque mot nouveau que j’introduis dans mon récit, j’en connais le sens, et pourtant, il n’a encore pour moi ni poids, ni forme, ni réalité complète. Certains mots, que je préfère, que je connais intimement, reviennent sans cesse sous ma plume, car leur richesse est pour moi complète. Quand je parle, j’utilise beaucoup d’expressions qui ne vivent pas en moi, mais parler est une autre affaire. Quand j’écris un mot, il faut que ce mot ait atteint en moi un degré de réalité tel qu’il ait une place dans ma vie. Si je signale ce fait, c’est que je sens grandir en moi le désir de mots nouveaux.
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Tout le monde ne garde pas le même souvenir de sa jeunesse. Nombreux sont ceux qui ont mené alors une vie très heureuse, et qui, s’ils se reportent à leur «journal », ou à leurs lettres, n’y trouvent pas le spectacle du bonheur. Fixer son souvenir est chose très difficile, et il est difficile d’être certain qu’on est, qu’on a été très heureux. C’est une tâche complexe que de reconnaître le bonheur passé ou présent dans la vie des très jeunes gens et des très jeunes filles. Une vie heureuse est difficile à reconnaître et à définir. Bien des gens pensent que presque tout le monde a une vie assez agréable, d’autres sont d’avis que personne n’est réellement heureux, d’autres enfin pensent que le bonheur est dévolu aux uns, à l'exclusion des autres. Certains pensent que nous avons tous droit au bonheur, et d’autres qu’il dépend de notre volonté.
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Chacun de nous connaît la raison de ses échecs, mais en général on ne se rend pas bien compte de la raison des échecs du prochain. Nous aimons à donner des explications sur la raison de nos échecs, et ceux qui les entendent n’y prêtent aucune attention. Car chacun a une raison, une raison grave d’avoir échoué. Il est des gens à qui la vie n’apprend rien sur eux-mêmes. Chaque fois se renouvelle, toute fraîche, la cause de leur échec. Ils trouvent toujours de brillantes raisons, ils découvrent chaque fois, avec la même fraîcheur, des raisons qui, pour le public, ne sont que fatigantes répétitions, dénuées de portée.
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