Les nouvelles
nourritures– André Gide
Connais-toi
toi-même. Maxime aussi pernicieuse que laide. Quiconque s’observe arrête son
développement. La chenille qui chercherait à « bien se connaître » ne
deviendrait jamais papillon.
III
J’ai
parfois, j’ai souvent, par malignité, dit d’autrui plus de mal que je ne
pensais et, par lâcheté, dit plus de bien que je ne pensais de beaucoup
d’œuvres, livres ou tableaux, par crainte d’indisposer contre moi leurs
auteurs. J’ai parfois souri à des gens que je ne trouvais pas du tout drôles et
feint de trouver spirituels des propos niais. J’ai feint de m’amuser, parfois, alors
que je m’embêtais à mort et que je n’avais pas la force de m’en aller parce que
l’on me disait : reste encore... J’ai trop souvent permis à ma raison d’arrêter
l’élan de mon cœur. Et, par contre, alors que mon cœur se taisait, j’ai trop
souvent parlé quand même. J’ai parfois, pour être approuvé, fait des sottises.
Et, par contre, je n’ai pas toujours osé faire ce que je pensais devoir faire
mais savais ne devoir être pas approuvé.
Leur sagesse
?... Ah ! leur sagesse, mieux vaut n’en pas faire grand cas. Elle consiste à
vivre le moins possible, se méfiant de tout, se garant. Il y a toujours, dans
leurs conseils, je ne sais quoi de rassis, de stagnant. Ils sont comparables à
certaines mères de familles qui abrutissent de recommandations leurs enfants :
– « Ne te
balance pas si fort, la corde va craquer ;
Ne te mets
pas sous cet arbre, il va tonner ;
Ne marche
pas où c’est mouillé, tu vas glisser ;
Ne t’assieds
pas sur l’herbe, tu vas te tacher ;
À ton âge,
tu devrais être plus raisonnable ;
Combien de
fois faudra-t-il te le répéter :
On ne met
pas ses coudes sur la table.
Cet enfant
est insupportable ! »
Car, disait
l’auteur, et je le pense avec lui : l’animal vit dans le présent, de sorte que le
plus grand nombre de nos maux, imaginaires, habitant la représentation du passé
(regrets, remords) ou l’appréhension de l’avenir, lui sont épargnés.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire