jeudi 23 octobre 2025

Poèmes - Lord Byron

 

NE ME RAPPELLE PAS, NE ME RAPPELLE

Ne me rappelle pas, ne me rappelle,

Ces heures aimées, ces heures enfuies,

Où mon âme fut donnée toute à toi ;

Ces heures que jamais l'on ne se cèle

Que ne s'épuise l'élan de nos vies,

Et que tienne ni mienne plus ne soient.

Pourrai-je oublier – et pourras-tu oublier,

Quand je jouais en tes cheveux d'or fin,

Comme s'animait ton cœur frémissant ?

Oh ! par mon âme, tu restes gravée,

Et tes yeux languides, ton si beau sein,

Lèvres silencieuses au souffle aimant.

Lorsque dessus mon cœur tu t'inclinais,

Ces yeux dispensaient un regard si tendre,

Mi-blâme, et qui soulevait le désir ;

Et déjà nous nous serrions près, plus près,

Nos lèvres embrasées voulaient se prendre,

Comme lorsque, d'un baiser, l'on expire.

Puis ces yeux pensifs se voulaient ombrés,

Intimant à leurs chapes de s'unir,

Sur leurs orbes d'azur, voiles baissés ;

De leurs longs liens le lustre enténébré

Au brillant de ta joue semblait nuir,

Plumage noir sur la neige lissé.

Cette nuit je rêvai vives ces heures ;

En vérité, cette pure apparence,

Dans sa fantaisie, m'était plus courtoise,

Que si je m'enflammais pour d'autres cœurs,

Pour d'autres yeux n'atteignant ta brillance

Dans le réel sauvage de l'extase.

Ne me rappelle pas, ne me redis

Ces heures qui, pour toujours en allées,

Restituent encore un rêve qui plaît,

Jusqu'à ce que nous soyons, dans l'oubli,

Insensibles tels la pierre effritée

Disant que nous ne serons plus jamais.

 

UNE LUTTE ENCORE, PUIS JE SUIS LIBRE

(...)

Le cœur est seul – toujours seul est le cœur !

(...)

Le Temps faiblit l'amour, mais ne la prive

De l'espoir enfui, qui la fait plus forte :

Oh ! que seront milliers d'amours vives

Pour qui ne peut délaisser l'amour morte ?

 

SECONDES STANCES POUR AUGUSTA

(...)

Du désert sourd fontaine jaillissante,

Du sauvage inculte in arbre s'éploie,

En la solitude un oiseau chante

    Qui parle à mon esprit de toi.

 

TÉNÈBRES

J'eus un rêve ; il ne fut pas pleinement un rêve.

L'éclatant soleil s'était éteint, les étoiles

Erraient obscurcies parmi l'espace éternel,

Sans rayons ni chemins, et la terre glaciale

Aveugle balançait, noire dans l'air sans lune ;

L'aube fuit – vint, stérile du moindre jour.

Les hommes laissèrent leurs passions dans l'effroi

De leur désolation, où les cœurs se gelèrent

En une prière égoïste à la lumière.

Ils vécurent en veillant aux feux. Et les trônes,

Les palais des maîtres couronnés – et les huttes,

Les demeures de tous les êtres qui se logent,

Furent des phares : se consumèrent les villes,

Les hommes affluaient à l'entour de ces îles

De la clarté, pour sonder les visages autres.

Bienheureux ceux qui habitaient auprès des feux

Volcaniques, et de leurs torches montagneuses :

Le monde ne connut qu'une espérance affreuse.

On incendia les forêts – mais heure par heure

Elles s'effondrèrent – et les troncs crépitants

S'éteignaient avec un craquement. – Tout fut noir.

Les fronts humains, à la lumière sans espoir,

Prirent un aspect irréel, comme en accès

Les éclairs fondaient sur eux ; les uns s'abattaient,

Voilaient leurs larmes ; d'autres demeuraient inertes,

Le menton sur leurs poings crispés, et souriant ;

Tels s'empressaient çà et là, soucieux de nourrir

D'huile leur monceau funèbre, puis de quérir

En une inquiétude démente le ciel lourd,

Linceul d'un monde révolu ; puis, blasphémant,

Abaissaient leurs regards, sondant la poussière,

Claquaient des dents, hurlant ; et les oiseaux sauvages

Criaient et, terrifiés, frémissaient sur le sol,

L'aile inutile ; et les bêtes les plus féroces

Dociles allaient en tremblant ; jusqu'aux vipères

Rampaient afin de se tordre en la multitude,

Le sifflet impuissant – on les tua, s'en nourrit.

La guerre, qui s'était un instant suspendue,

Encore renchérit : l'on acquit des repas

Au prix du sang, chaque solitaire obstiné

S'empiffrant dans ce sombre où n'était nul amour ;

La terre en son entier n'était qu'une pensée :

Que la mort, immédiate et sans gloire ; les affres

De la faim repaissaient toute entraille – les hommes

Succombaient, chairs et os gisant sans sépulture ;

Les maigres, des maigres, tôt furent dévorés.

Jusqu'aux chiens assaillaient leurs maîtres, hors un seul,

Fidèle à un cadavre, et qui le préservait

Des bêtes et hommes affamés, pour qu'enfin

La faim les emporte, ou que les morts s'effondrant

Séduisent leurs mâchoires efflanquées ; lui-même,

Insoucieux d'aliments, d'un long gémissement,

Recoupé de cris désolés, léchait la main

Ne répondant par nulle caresse – il mourut.

La foule peu à peu périssait affamée ;

Mais deux d'une cité, énorme, survécurent :

Et ils étaient ennemis ; ils se rencontrèrent

Près des braises déclinantes d'un pieux autel

Où l'on avait amassé des choses sacrées

Pour un profane usage ; là ils rassemblèrent

Du geste tremblant de leurs squelettiques mains,

Trop froides, les faibles cendres : leur faible souffle

Leur restitua un brin de vie, fit une flamme

Qui était son propre simulacre ; ils levèrent

Les yeux comme en levait la lumière, et chacun

De l'autre vit l'aspect – vit, hurla, et mourut – ;

De par leur commune hideur même ils moururent,

Chacun d'eux ignorant sur lequel de leurs fronts

Famine marqua : Satan. Le monde était vide,

Ce populeux et puissant devint une masse,

Saison sans fleurs, ni arbres, sans hommes, sans vie – Une masse de mort – chaos d'argile brute.

Fleuves, lacs et océans s'immobilisèrent,

Rien ne troubla plus leurs profondeurs silencieuses ;

Les vaisseaux sans marins pourrissaient sur la mer,

Et leurs mâts s'écroulaient peu à peu ; engloutis,

Ils s'assoupirent dans les abysses sans houle –

Les vagues étaient mortes, marées au sépulcre,

Par l'extinction de la lune, leur souveraine ;

Les vents flétrirent dans l'air stagnant aux nuages

Péris ; mais les Ténèbres n'avaient nul besoin

D'en être secourues, devenues l'Univers.

 

UN FRAGMENT

Remonterais-je le fleuve de mes années,

Vers la source de nos rires et de nos pleurs,

Je ne suivrais encore le torrent des heures

Entre ses rives effondrées de fleurs fanées,

Mais voudrais qu'il aille ainsi qu'à présent – glisser

Au nombre des flots innommés.

Qu'est la mort ? – une quiétude du cœur ?

Le tout dont nous ne sommes qu'une part ?

La vie n'est que vision – ce que je vois

Parmi tout ce qui vit, seul vit pour moi,

Et par cela – les absents sont les morts,

Qui hantent notre paix, et qui déploient

Un linceul morne sur nous, revêtant

De tristes souvenirs notre repos.

Les absents sont les morts – car ils sont froids,

Ne sont plus ceux une fois entrevus ;

Et ils sont changés, las. Et lorsque même

Ceux que l'on n'oublie point n'oublient pas tout

Depuis qu'ils sont allés – n'importe si

La profonde barrière est terre, ou mer

(Les deux peut être) : un jour ce doit finir

En l'union sombre de l'inerte poussière.

Les hôtes souterrains – ne sont-ils rien

Que millions en une argile fondus ?

Cendres des milliers d'âges épandues

Là où a marché l'homme, et marchera ?

Séjournent-ils en silencieuses villes,

Chacun en sa cellule solitaire ?

Ont-ils leur propre langue ? la conscience

De leur être inerte – sombre et intense

Comme minuit en sa solitude ? Terre !

Où sont ceux passés ? pourquoi leur naissance ?

Les morts te sont des héritiers, et nous

Rien que bulles à ta surface ; la clef

De ta profondeur gît dans le sépulcre,

Portail d'ébène des antres peuplés

Où mon esprit voudrait marcher, scruter

Nos êtres défaits en choses sans nom,

Sonder les trésors enfouis, explorer

L'essence des grands cœurs qui ne sont plus.

 

 

  

   

 

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