Haïr le monde - Leïla Chaix
Les seules religions qu'il nous reste
sont la haine de soi et des autres
la compétitivité
insta, le style, l'argent, la jalousie
et le développement personnel
de nos petites identités
on vit nos vies comme des selfies
vides comme des vidéos
arrêtons de nous croire nouveaux
nous serons toujours du passé
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Les artistes sont des arnaqueurs qui parfois font de l'alchimie et de la magie. Les poètes sont des gens inaptes qui entretiennent l'inaptitude, et deviennent fous de voir le monde comme un réservoir de beautés sempiternellement bafouées.
Je n'ai absolument rien à dire sur la littérature, en mots. Où ce qu'on sent et ce qu'on dit est fusionné, synchronisé, où les phrases sont des fulgurances, des émotions, des omoplates. L'écriture, c'est de la pensée ; et le corps c'est le livre. Ça induit une posture témoin, hyperactive, perchée - archer. Je tire de loin.
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Il arrive que nous agissons et ce faisant, nous jaillissons. Il arrive qu'on fabrique la vie, qu'on arrive à faire vivre des mondes. Mais d'où sort cette puissance d'agir ? Comment l'alimenter, alors ? Désobéir.
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Haïr l'époque, la société, ne pas vouloir lui ressembler. Distinguer les individus et les gros systèmes de pensée qui les fabriquent et les absorbent. Causes d'abrutissement général ; superstructures psycho-sociales qui nous envoûtent et nous maltraitent. Technocraties ? Dieu malveillant ? Gouvernements autoritaires ? Presse diabolique ? Chacun voit l'enfer à sa porte. On a trop de mots pour dire ; pas assez de jus pou agir. Haïr le monde pour désirer faire d'autres vies.
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Le monde que j'appelle à haïr est celui qui déguise le rapt en progression naturelle. Le monde que j'appelle à haïr est enfanté chaque jour par ce processus-même, qui continue à se reproduire.
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On est maintenus prisonniers dans le dispositif carcéral et libéral des villes ouvertes et connectées.
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Nos sociétés (physiques, mentales) reposent sur le meurtre et le vol.