jeudi 30 octobre 2025

Au Pays des Moines (Noli me Tangere) - José Rizal

Au Pays des Moines (Noli me Tangere) - José Rizal

 
 Ne vois-tu pas comme tout se réveille?
Le sommeil a duré des siècles, mais un
jour la foudre est tombée et la foudre, en
détruisant, a rappelé la vie.
José Rizal: Noli me tangere, cap. L. 
 
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Il pensait à l’homme qui avait ouvert les yeux de son intelligence, qui lui avait appris à distinguer le bon et le juste. Les idées qu’il lui avait inculquées ne constituaient pas un lourd bagage, mais ce n’étaient pas de vaines répétitions de banales formules; c’étaient des convictions qui n’avaient pas pâli à la lumière des plus ardents foyers du Progrès. C’était un vieux prêtre... ce saint homme était mort là!...

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 Laissons le jeune homme rêver endormi à moitié dans la voiture qui l’emporte. Animée ou mélancolique, la poésie de la campagne ne le distrait pas de ses pensées. Ce soleil qui fait briller les cimes des arbres et courir les paysans dont le sol échauffe et brûle les pieds à travers leurs épaisses chaussures; ce soleil qui arrête la paysanne à l’ombre d’un amandier ou d’un bouquet de gigantesques roseaux et la fait penser à des choses vagues et inexplicables, ce soleil n’a plus d’enchantement pour lui.

La logique de la science - Charles Sanders Peirce

La logique de la science - Charles Sanders Peirce

 

PREMIÈRE PARTIE

Comment se fixe la croyance

 

II

Le but du raisonnement est de découvrir par l’examen de ce qu’on sait déjà quelque autre chose qu’on ne sait pas encore. Par conséquent, le raisonnement est bon s’il est tel qu’il puisse donner une conclusion vraie tirée de prémisses vraies ; autrement, il ne vaut rien. Sa validité est donc ainsi purement une question de fait et non d’idée. A étant les prémisses, et B la conclusion, la question consiste à savoir si ces faits sont réellement dans un rapport tel, que si A est, B est. 

Si oui, l’inférence est juste ; si non, non. La question n’est pas du tout de savoir si, les prémisses étant acceptées par l’esprit, nous avons une propension à accepter aussi la conclusion. Il est vrai qu’en général nous raisonnons juste naturellement. Mais ceci n’est logiquement qu’un accident. Une conclusion vraie resterait vraie si nous n’avions aucune propension à l’accepter, et la fausse resterait fausse, bien que nous ne pussions résister à la tendance d’y croire.

Certainement, l’homme est, somme toute, un être logique ; mais il ne l’est pas complètement. Par exemple, nous sommes pour la plupart portés à la confiance et à l’espoir, plus que la logique ne nous y autoriserait. Nous semblons faits de telle sorte que, en l’absence de tout fait sur lequel nous appuyer, nous sommes heureux et satisfaits de nous-mêmes ; en sorte que l’expérience a pour effet de contredire sans cesse nos espérances et nos aspirations. Cependant l’application de ce correctif durant toute une vie ne déracine pas ordinairement cette disposition à la confiance.

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 Ce qui nous détermine à tirer de prémisses données une conséquence plutôt qu’une autre est une certaine habitude d’esprit, soit constitutionnelle, soit acquise. Cette habitude d’esprit est bonne ou ne l’est pas, suivant qu’elle porte ou non à tirer des conclusions vraies de prémisses vraies. Une inférence est considérée comme bonne ou mauvaise, non point d’après la vérité ou la fausseté de ses conclusions dans un cas spécial, mais suivant que l’habitude d’esprit qui la détermine est ou non de nature à donner en général des conclusions vraies. L’habitude particulière d’esprit qui conduit à telle ou telle inférence peut se formuler en une proposition dont la vérité dépend de la validité des inférences déterminées par cette habitude d’esprit.

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En réalité, l’importance des faits qu’on peut déduire des postulats impliqués dans une question logique se trouve être plus grande qu’on ne l’eût supposé, et cela pour des raisons qu’il est difficile de faire voir au début de notre étude. La seule que je me bornerai à mentionner est que des concepts qui sont en réalité des produits d’une opération de logique, sans qu’ils paraissent tels au premier abord, se mêlent à nos pensées ordinaires et causent fréquemment de grandes confusions. C’est ce qui a lieu, par exemple, avec le concept de qualité. Une qualité prise en elle-même n’est jamais connue par l’observation.

 

III

 Toutefois, nul système ne peut embrasser la réglementation des opinions sur tout sujet. On ne peut s’occuper que des plus importants ; sur les autres, il faut abandonner l’esprit humain à l’action des causes naturelles. Cette imperfection du système ne sera pas une cause de faiblesse aussi longtemps que les opinions ne réagiront pas les unes sur les autres, c’est-à-dire aussi longtemps qu’on ne saura point additionner deux et deux. Mais, dans les États les plus soumis au joug sacerdotal, se rencontrent des individus qui ont dépassé ce niveau. Ces hommes ont une sorte d’instinct social plus large ; ils voient que les hommes en d’autres pays et dans d’autres temps ont professé des doctrines fort différentes de celles qu’ils ont eux-mêmes été élevés à croire. Ils ne peuvent s’empêcher de remarquer que c’est par hasard qu’ils ont été instruits comme ils le sont et qu’ils ont vécu au milieu des institutions et des sociétés qui les entourent, ce qui les a fait croire comme ils croient et non pas fort différemment. Leur bonne foi ne peut échapper à cette réflexion qu’il n’y a pas de raison pour estimer leur manière de voir à plus haut prix que celle d’autres nations et d’autres siècles ; et ceci fait naître des doutes dans leur esprit. 

 

DEUXIÈME PARTIE

Comment rendre nos idées claires

 

On définit idée claire une idée saisie de telle sorte qu’elle sera reconnue partout où on la rencontrera, de sorte que nulle ne sera prise pour elle. À défaut de cette clarté, l’idée est dite obscure.

Voici là un assez joli morceau de terminologie philosophique. Pourtant, puisque c’était la clarté que définissaient les logiciens, on souhaiterait qu’ils eussent fait leur définition un peu plus claire. Ne jamais manquer de reconnaître une idée sous quelque forme qu’elle se dérobe et dans aucune circonstance, n’en prendre aucune autre pour elle, impliquerait à coup sûr une puissance et une clarté d’esprit si prodigieuses, qu’elles ne se rencontrent que rarement. D’autre part, le simple fait de connaître une idée assez pour s’être familiarisé avec elle, au point de ne pas hésiter à la reconnaître dans les circonstances ordinaires, semble mériter à peine d’être nommé une claire compréhension. Ce n’est après tout qu’un sentiment subjectif de possession qui peut être entièrement erroné. Toutefois, je tiens qu’en parlant de clarté les logiciens n’entendent rien de plus qu’une familiarité de ce genre avec une idée, puisqu’ils n’accordent pas une bien grande valeur à cette qualité prise en elle-même, car elle doit être complétée par une autre, celle d’être distincte.

Une idée est dite distincte quand elle ne comprend rien qui ne soit clair : ce sont là des termes techniques. La compréhension d’une idée dépend pour les logiciens de ce que contient sa définition. Ainsi, suivant eux, une idée est comprise distinctement lorsqu’on peut en donner une définition précise en termes abstraits. Les logiciens de profession en restent là, et je n’aurais point fatigué le lecteur de ce qu’ils ont à dire, si ce n’était un exemple frappant de la façon dont ils ont sommeillé dans des siècles d’activité intellectuelle, insoucieux des ressources de la pensée moderne, et ne songeant jamais à en appliquer les enseignements à l’avancement de la logique. Il est aisé de montrer que cette doctrine, suivant laquelle la compréhension parfaite consiste dans l’usage familier d’une idée et dans sa distinction abstraite, a sa place marquée parmi les philosophies depuis longtemps éteintes. Il faut maintenant formuler la méthode qui fait atteindre une clarté de pensée plus parfaite, telle qu’on la voit et qu’on l’admire chez les penseurs de notre temps. 

 

II

Les principes exposés dans notre première partie conduisent immédiatement à une méthode qui fait atteindre une clarté d’idées bien supérieure à « l’idée distincte » des logiciens. Nous avons reconnu que la pensée est excitée à l’action par l’irritation du doute, et cesse quand on atteint la croyance : produire la croyance est donc la seule fonction de la pensée. Ce sont là toutefois de bien grands mots pour ce que je veux dire ; il semble que je décrive ces phénomènes comme s’ils étaient vus à l’aide d’un microscope moral. Les mots doute et croyance, comme on les emploie d’ordinaire, sont usités quand il est question de religion ou d’autres matières importantes. Je les emploie ici pour désigner la position de toute question grande ou petite et sa solution. 

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Il semble donc que la règle pour atteindre le troisième degré de clarté dans la compréhension peut se formuler de la manière suivante : Considérer quels sont les effets pratiques que nous pensons pouvoir être produits par l’objet de notre conception. La conception de tous ces effets est la conception complète de l’objet.

Quelques exemples pour faire comprendre cette règle. Commençons par le plus simple possible, et demandons-nous ce que nous entendons en disant qu’une chose est dure. Évidemment nous voulons dire qu’un grand nombre d’autres substances ne la rayeront pas. La conception de cette propriété comme de toute autre, est la somme de ses effets conçus par nous. Il n’y a pour nous absolument aucune différence entre une chose dure et une chose molle tant que nous n’avons pas fait l’épreuve de leurs effets.

IV

 on peut arriver à formuler cette définition en considérant les différences entre le réel et son opposé le fictif. Une fiction est le produit d’une imagination humaine ; elle a les caractères que lui impose la pensée qui la crée. Ce qui a des caractères indépendants de la pensée de tel ou tel homme est une réalité extérieure. Il y a cependant des phénomènes ayant pour théâtre l’esprit de l’homme et sa pensée pour élément, et qui sont en même temps réels, en ce sens qu’on les pense réellement. Mais si leurs caractères résultent de notre façon de penser, ils ne résultent pas de la façon dont on pense qu’ils sont. Ainsi, un rêve existe réellement comme phénomène intellectuel, pourvu qu’on l’ait rêvé. Qu’on ait rêvé de telle ou telle façon, cela ne dépend pas de ce qu’en peut penser qui que ce soit, mais est entièrement indépendant de toute opinion sur ce sujet. D’autre part, si l’on considère, non point le fait de rêver, mais la chose rêvée, le rêve ne possède certains caractères que parce que nous avons rêvé qu’il les possédait. Ainsi, le réel peut se définir : ce dont les caractères ne dépendent pas de l’idée qu’on peut en avoir.

 

 

 

Le concept d'amour chez Saint-Augustin - Hannah Arendt

Le concept d'amour chez Saint-Augustin - Hannah Arendt

AVANT-PROPOS

 
Au point de départ pour Arendt, comme pour Augustin à ses yeux, il y a une expansivité, le désir - appelé parfois du vieux nom de libido, qui, sans connotation freudienne, signifie l’élan désordonné et fougueux vers ce qui semble son bien propre. « Structure fondamentale de l’étant », (p. 49), le désir est la forme d’un appétit qui se détermine son bien, bien exclusif, qui installe le désirant dans la solitude, le dispose à toutes les détresses et à toutes les audaces, mais qui trahit, traduit pour Augustin une dynamique irrécusable et jamais à détruire, la volonté d’être heureux. Bonheur, joie, de quelque nom qu’on appelle, là l’objet du désir révèle la fin ultime de l’être créé : être heureux. Cette fin, même non rattachée explicitement à la notion de création, connote, dans l’ombre en quelque sorte, que la création divine a pour destination la fin heureuse. Mais se heurtant aux vicissitudes du temps, à la décristallisation des objets, forcé à la dissémination au dehors, le désir, par un acte de réflexion, fait mouvement vers ce qui serait son Bien suprême, aimé pour lui-même, dans son absoluité. De convoitise il devient charité, échappant au rythme du temps toujours scandé par le ne-plus et le pas-encore. La perspective sur le bien suprême installe en une sorte d’éternité au présent, qui semble conduire à trois conséquences disharmonieuses. D’un côté, ce désir du bien suprême, protégé de la crainte de perdre, s’exalte dans la perspective d’une jouissance qui n’est plus amour (ou charité) mais « inhérence » à l’objet aimé7. D’un autre côté, pareil désir entraîne un renoncement à soi intégral qui ne voit plus en tout objet de désir qu’un objet frelaté et illusoire.
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La position d’Augustin dans ce contexte est provocatrice : autrui n’a de signification qu’à partir d’une auto-suffisance de soi enfin parvenue à occuper, au moins à désirer totalement son lieu propre, son point d’arrivée, son ancrage définitif. Pour Arendt, cette philosophie est peu chrétienne, parce que . l’amour du prochain se réduit à l’attente et à la condescendance, tant est fort chez lui, attitude païenne pour Arendt, le sentiment de l’érosion dévastatrice du monde sensible, d’autant même qu’il y était plus attaché.

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Si la charité est commandement, du cœur de la tradition venue de l’Écriture et du Christ, elle exige de clairement comprendre ce que signifie s’aimer soi-même de telle manière que cet amour enchaîne sur l’égal amour de tout autre, le prochain, et ceci au milieu des tourbillons des passions et voluptés, de l’histoire et par-delà les délices de l’amitié tant prisée par Augustin et Arendt. 

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En conséquence, l’impératif de « foi commune » chez Augustin n’est pas que souci autoritaire et dogmatique. La foi commune exprime, si singulière que soient les opinions de chacun, la réalité de la communauté nou-velle. Le fondement ultime de cette foi commune est encore de nature sociale : à l’autre comme à Dieu on ne peut faire que crédit. Et l’aboutissement, la réalisation de ce crédit, l’engagement en lui, c’est l’amour.
 

INTRODUCTION
 

Ce travail propose trois analyses. La première débute par l’amour (amor), compris comme désir (appetitus). la seule définition qu’Augustin ait donnée de l’amour (amor). Au terme de l’analyse, dans la présentation de la charité ordonnée dilectio), nous voyons à quelles contradictions cette définition peut conduire même en suivant Augustin, et nous nous trouvons contraints d’avancer vers un tout autre ensemble conceptuel qui tente déjà de manière curieusement liminaire, incompréhensible en première analyse, de tirer l’origine de l’amour du prochain (dilectio proximi) de l’amour comme désir (amor qua appetitus). La seconde analyse permet seulement de comprendre à quel titre on aime le prochain dans l’amour du prochain (dilectio proximi). Ce n’est que la troisième analyse qui éclaire la contradiction de la deuxième telle que la met en évidence la question de savoir comment l’homme face à Dieu (coram Deo), isolé de tout ce qui a rapport au monde, peut encore s’intéresser au prochain. Elle y parvient en démontrant à partir d’un tout autre contexte l’importance du prochain. Éclairer une contradiction ne signifie toutefois pas résoudre un problème issu d’un ensemble relativement clos de concepts et d’expériences, mais répondre à la question de savoir comment apparaissent ces discordances, qui, contre toute attente, font aboutir certaines prémisses à des contradictions incompréhensibles pour une pensée systématique. Il faut donner les contradictions pour ce qu’elles sont, les éclairer en tant que telles, saisir ce qu’elles cachent.

PREMIÈRE PARTIE
L’AMOUR COMME DÉSIR (AMOR QUA APPETITUS)

1 - La structure du désir

«Aimer ne consiste qu’à désirer une chose pour elle-même. » Et, un peu plus loin : « Car l’amour est désir (appetitus)1.» Tout désir est lié à quelque chose de déterminé qu’il désire. C’est cet objet du désir qui d’abord a fait naître le désir, l’a enflammé, lui a donné sa direction.  

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Cet amour s’inverse en crainte (metus) : « Il n’est douteux pour personne que la crainte n’a pour objet que la perte de ce que nous aimons, si nous l’avons obtenu, ou sa non-obtention, si nous espérons l'obtenir. » Du vouloir posséder et du vouloir garder du désir naît la peur de la perte. À l’instant de la possession le désir se transforme en crainte. Tout comme le désir désire le bien, la crainte craint le mal. Le mal, que fuit la crainte6, menace la vie heureuse qui consiste à posséder le bien. Tant que l'homme désire les choses temporelles (res temporales), il s’expose continuellement à cette menace, et au désir de posséder correspond sans cesse la crainte de perdre. Les biens temporels naissent et meurent indépendamment de l’homme qui est lié à eux par le désir. Constamment lié par le désir et par la crainte à un avenir7 dont on ignore ce qu’il apportera, le présent perd toute quiétude, toute possibilité de jouissance et du même coup sa signification originale8. Tout présent est déterminé, non seulement par l’avenir comme tel (cela peut aussi se produire chez Augustin, nous le verrons plus loin), mais aussi par des événements précis, redoutés ou attendus de l’avenir, que le sujet désire et cherche à acquérir ou qu’il fuit et écarte de son chemin.

2 - Charité et convoitise (caritas et cupiditas)

Ces deux concepts sont donc, comme a essayé de le montrer ce qui précède, construits à partir de l’amour défini comme désir, proche de l'orexis gréco-aristotélicienne.

Charité et convoitise se différencient par l’objet qu’elles visent, et non par le comment de la visée elle-même31. Elles décrivent d’abord l’appartenance à quelque chose et non l’attitude, l'habitus. L’homme est ce qu’il s’efforce d’atteindre32. L’amour est la médiation entre celui qui aime et ce qu’il aime, celui qui aime n’est jamais isolé de ce qu’il aime, il lui appartient33. Le désir de ce qui est de l’ordre du monde est mondain, il appartient au monde.  

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Ce n’est que parce qu’il est aimé que le monde est mauvais et que le désir devient lui-même convoitise, parce qu’il s’oriente vers le dehors ; c’est lui, le dehors en tant que dehors, qui le rend esclave. La liberté, c’est d’être libre de la crainte, et elle réside dans l’autonomie. Nous verrons plus tard que la charité est libre précisément parce qu’elle est sans crainte ( timorem foras mittit).

Il faut dépasser l’appartenance au monde concrétisée dans la convoitise, parce qu’elle est sous l’emprise de la crainte, et elle ne peut être dépassée que par la charité. En vivant dans la convoitise, l’homme devient monde. Cet être-monde, Augustin l’exprime par le terme de dispersion Comme le désir, dans cette dépendance du hors de moi (extra me), de ce que précisément je ne suis pas, passe à côté du bien, la dispersion veut aujourd’hui telle chose, demain telle autre, en d’autres mots le multiple. Il vit dans le divertissement - la fuite de soi, la volonté de s’agripper à ce qui apparemment a de la permanence. Cette perte se caractérise par la curiosité (curiositas), la concupiscence du regard (concupiscentia oculorum ), qui recherche un savoir inutile? Elle exprime de manière pour ainsi dire habituels la dépendance envers le monde, l'insécurité et la futilité de l’humain qui vit loin de lui-même (a se), qui se fuit. À cette fuite devant soi Augustin oppose le se quaerere, se chercher soi-même - le grand problème que je suis pour moi-même (quaestio mihi factus sum).

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Dans la jouissance, dans le tranquille être-auprès-de, l'amour cesse, trouve son accomplissement. Tout amour est tension vers cet accomplissement. L’accomplissement, c’est la béatitude (béatitudo) qui ne consiste pas à aimer mais à jouir de ce qui est aimé et désiré. Tout amour est tension vers cette jouissance.

3 - L’amour ordonné (ordinata dilectio) 

Le monde est compris à partir de cette liberté à laquelle on aspire et qui est effective dans la charité. Le rapport au monde est rapport d’usage,, usage libre, qui ne dépend pas du monde. Pris dans la structure du pour-l’amour-de    sa signification ne tient que dans cette finalité de l’usage. Le monde considéré dans sa finalité par celui qui désire prend dans cette perspective un ordre bien spécifique qui n’est rien d’autre que l’expression du rapport que l’homme entretient avec lui et de l’usage qu’il en fait. Le rapport à une chose (res), à tout étant donc, est déterminé comme amour en tant que désir (appetitus). L’amour du monde, conduit par la fin ultime, est d’ordre second. Dans la quête du souverain bien, le monde, celui même auquel appartient celui qui aime, est oublié dans son autonomie. Pour la charité s’en revenant de l’avenir absolu où elle s’était abandonnée, le monde en tant que présent a perdu sa signification première, et l’amour qu’on lui porte n’est plus amour pour lui. Mais l’avenir absolu fournit aussi un lieu situé par principe en dehors du monde, et à partir duquel et le monde et nos rapports avec lui peuvent être ordonnés. Le bien souverain est le fil conducteur qui unifie cette mise en ordre, cette hiérarchisation du monde des objets disponibles. Nous voyons que dans la recherche du soi propre, entendue comme la recherche de la vie véritable, l’existence même de l’homme devient une chose objectivement disponible, le corrélât du désirer. 

DEUXIÈME PARTIE
CRÉATEUR - CRÉATURE (CREATOR - CREATURA)
 

1 — Le créateur compris comme origine de la créature

Nous avons considéré que l’amour de soi né du désir était secondaire dans l’ordonnancement que permet la contemplation à partir de l’éternité. Conformément à la structure du désir, nous avons laissé de côté l’amour de soi et avec lui l’amour du prochain, bref nous n’avons pas creusé davantage le rapport originaire qu’ils ont l’un avec l’autre ; c’est après coup, à partir du bien souverain atteint, que ce rapport trouve sa vraie place. Le rapport originaire de l’amour de soi, qui permet non explicitement de s’orienter dans le monde que l’on doit ordonner, ne peut subsister dans l’amour ordonné ( ordinatadïlectio) que si l’amour de soi ne se rapporte à rien par désir.

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Que l'extrême passé et l'extrême avenir qui sont avant (ante) de facto dans le retour à son être propre (redire ad se) se rejoignent, donne à la créature sa part à l’être immuable. En vivant vers sa mort, vers l'ultime frontière, la vie mortelle va vers son origine ultime. Seul le fait de rendre présente la vie toute entière donne à la créature la possibilité de participer à l'éternité.

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L'être est donc le tout, ce qui embrasse et enrobe; pour lui le temps n'existe pas, il est le présent éternel qui présentifie simultanément tout et qui contient du coup le caractère temporel et périssable des parties.

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La partie n’existe plus que pour la beauté (pulchritudo) de l’univers et non plus pour elle-même.

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Dieu, dans la mesure où par lui aussi quelque chose advient, n’est pas l'Étemel, celui qui embrasse le tout, nous contenant, nous et nos actes, mais le rapport est de partie à partie tim). Le monde est donc le lieu de ce qui advient (gerï), en dehors duquel,en quelque sorte, se trouve celui qui fait advenir (gerens), qu’il soit homme ou Dieu. En tout cas, ce qui advient dans le monde est aussi constitué par l’homme qui vit dans le monde. Mais qu’est-ce donc que ce monde même? 

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2 - Charité et convoitise (Caritas et cupiditas)

Nous avons vu que le retour au Créateur était la détermination structurelle originaire de l’être de la créature. Mais ce retour ne s’actualise que lorsque la mort renvoie la créature à ce lien structurel. L’avant n’est là en tant que tel qu’une fois que l’homme le saisit positivement. C’est la charité qui accomplit cette saisie positive de la réalité propre dans le rapport à Dieu. Manquer cet avant en prenant le monde, qui lui aussi est avant et après l’homme, pour l’éternité, saisir le faux avant, c’est la concupiscence ou encore la convoitise. Charité et convoitise dépendent donc toutes deux de l’homme en quête de son être propre comme d’un être-toujours, et cet être-toujours est dans les deux cas pensé comme ce qui inclut l’existence concrètement temporelle.

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C’est pourquoi l’orgueil (superbia) est une imitation déformée de l’élévation divine (celsitudo) en se donnant l’illusion que l’homme est créateur. C’est la volonté propre    (propria voluntas), la possibilité de faire quelque chose à partir de soi qui est à la source de la concupiscence.

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L’habitude s’oppose à ce passé et à cet avenir extrême en s’accrochant au faux avant qu’elle a saisi. L’habitude est l’éternel hier sans avenir. Le lendemain est identique à l’aujourd’hui. Ce nivellement de l’existence temporelle, périssable, se fonde sur la peur de l’avenir extrême, de la mort, qui détruit l’existence qui s’est construite sur la volonté propre. La mort, en tant que limite extrême du futur, est aussi la limite extrême du pouvoir de la vie sur elle-même.

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Dans la recherche de son être propre, la créature recherche la sécurité (securitas) de son existence. En dissimulant la limite extrême de l’existence, en assimilant aujourd’hui et demain à ce qui était hier, l’habitude donne à la vie qui s’agrippe au faux passé la mauvaise sécurité (mala securitas).

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Hésiter entre vouloir et  ne pas vouloir, ce n’est pas une difformité mais une maladie de l’esprit, puisque ce dernier ne peut dévoiler son intégrité, étant tiré vers le haut par la J vérité et vers le bas par l’habitude. 

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 donne comme lointain dans la loi, et proche dans la grâce157. Cette proximité est le sens de la vie) terrestre et de l’incarnation du Christ. La charité accomplit donc son tendre-vers-l’être (tendere esse), tout comme la convoitise l’approche du néant ( appropinquare nihilo) Mais cette approche dépend à son tour de ce dernier mouvement de Dieu. 

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3 - L’amour du prochain (Dilectio proximi)
 

L’amour du prochain est l’attitude face à l’autre née de la charité. Il renvoie à deux rapports fondamentaux : d’abord il doit aimer l’autre comme Dieu, ensuite comme soi-même (tamquam ipsum). Une double question surgit alors : comment le prochain rencontre-t-il la créature qui renonce à soi et qu’est-ce que le prochain dans cette rencontre ?

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TROISIÈME PARTIE
LA VIE EN SOCIÉTÉ (VITA SOCIALIS)
 

Partant du fait que la charité intra-mondaine du christianisme est liée à l’amour de Dieu, nous avons suivi deux lignes différentes de pensée chez Augustin censées exposer l’attachement, chaque fois structuré autrement, de l’homme à Dieu, avec pour résultat ou plutôt pour déconvenue que le rôle propre de l’amour du prochain restait incompréhensible.  

Petit Oeuvres morales - Leopardi

Petit Oeuvres morales -  Leopardi

 

DIALOGUE DU TASSE ET DE SON DÉMON FAMILIER  

le tasse. - Je ne vois pas là de «peut-être». Mais alors, pourquoi vivons-nous ? Je veux dire : pourquoi consentons-nous à vivre?

le démon. - Qu’en sais-je? Vous devez le savoir mieux que moi, vous autres les hommes.

le tasse. - Je te jure que je n’en sais rien.

le démon. - Pose la question aux sages; peut-être en trouveras-tu un qui saura te répondre.

LE TASSE. - C’est ce que je ferai. Il est certain que toute ma vie n’est que déchirement ; car, sans même parler de mes souffrances, à lui seul l’ennui me tue.

le démon. - Qu’est-ce que l’ennui?

le tasse. - Là au moins, je peux te répondre, car l’expérience ne me manque pas. Il me semble que l’ennui soit de la nature de l’air, qui remplit tous les espaces entre les objets matériels et tous les vides présents en chacun d’eux. Lorsqu’un corps se déplace sans qu’un autre occupe le lieu resté vacant, l’air lui succède aussitôt. Il en est de même pour la vie humaine : les intervalles entre les plaisirs et les déplaisirs sont occupés par l’ennui. Selon les Péripatéticiens, il n’existe, dans le monde matériel, aucun vide; ainsi notre vie n’en connaît pas non plus, excepté lorsque, pour une raison ou une autre, nous cessons un instant de penser. Le reste du temps, même considérée en soi et comme détachée du corps, l’âme contient toujours quelque passion ; car être vide de tout plaisir et déplaisir revient à être plein d’ennui, lequel n’est pas moins une passion que la volupté ou la douleur.

le démon. - Vos plaisirs sont faits d’une matière semblable aux toiles d’araignée, subtile, impalpable, transparente, et l’ennui qui s’y insinue de toutes parts finit par les remplir. Du reste, par ennui, je ne crois pas qu’il faille entendre autre chose que le pur désir du bonheur, lorsqu’il n’est pas satisfait par le plaisir ni brutalement meurtri par la douleur. Mais ce désir, comme nous venons de le voir, n’étant jamais satisfait, et le plaisir, à proprement parler, n’existant pas, la vie humaine est pour ainsi dire, composée ou tissée, en partie de douleur, en partie d’ennui, et n’échappe à l’une de ces affections de l’âme que pour retomber dans l’autre. Et ce destin ne t’est pas réservé à toi seul, c’est celui de tous les hommes.

le tasse. - Quel remède peut lutter contre l’ennui?

le démon. - Le sommeil, l’opium et la douleur. C’est ce dernier qui est le plus efficace : lorsqu’il souffre, l’homme ne peut pas s’ennuyer.

le tasse. - Plutôt que de recourir à un tel traitement, je préfère m’ennuyer ma vie entière. Il est sûr que la variété des actions, des occupations et des sentiments, même si elle ne nous procure pas de vrai plaisir et ne nous libère pas de l’ennui, contribue cependant à en alléger le poids.

Tandis que dans cette prison, privé du commerce des hommes, empêché même d’écrire, réduit pour tuer le temps à compter les coups de l’horloge, à dénombrer les poutres, les fentes et les trous de vers du plafond, à contempler les dalles sur le sol, à me distraire au spectacle des éphémères et des moucherons qui tournent dans la pièce, à passer toutes les heures de la même façon, il n’est rien pour me décharger un peu du fardeau de l’ennui.

le démon. - Dis-moi : depuis combien de temps en es-tu réduit à cette existence?

le tasse. - Plusieurs semaines, tu le sais.

le démon. - N’as-tu pas remarqué quelque changement dans ton ennui depuis le premier jour ?

le tasse. - Il est sûr qu’il me pesait beaucoup plus au début. Peu à peu, mon esprit, en l’absence de toute autre occupation, s’accoutume à s’entretenir davantage avec lui-même, avec moins de désarroi qu’auparavant. Il a si bien pris l’habitude de se parler, il est devenu si bavard, qu il m’a semblé plusieurs fois avoir toute une assemblée en train de discuter dans ma tête, et le moindre sujet qui me passe par l’esprit suffit à déclencher en moi de grands discours.

le démon. - Cette habitude, tu la verras grandir et s’affirmer de jour en jour, au point que lorsqu’il te sera permis à nouveau de fréquenter la société, tu te sentiras plus désœuvré en compagnie que dans la solitude. Ne va pas croire que cette accoutumance ne se produise que chez tes pareils, habitués de longue date à méditer : elle apparaît plus ou moins tôt chez tous les hommes. De plus le fait d’être séparé des autres et, pour ainsi dire, de la vie même, offre cet avantage que l’homme, pourtant averti désabusé et revenu de tout, en s’exerçant peu à peu à regarder de loin les choses humaines, toujours embellies et magnifiées par la distance, perd de vue leur vanité et leur misère; il se forge un nouveau monde à sa façon; il se remet à goûter, à aimer, à désirer la vie ; et si on ne lui ôte pas la possibilité ou l’assurance d’être rendu à la société, il se nourrit des espérances de cette vie comme il le faisait dans ses premières années. Ainsi la solitude joue presque le rôle de la jeunesse; ou du moins, elle rajeunit l’âme, elle renforce et ranime l’imagination, et renouvelle chez l’homme expérimenté les bienfaits de cette inexpérience première après laquelle tu soupires. Mais je te laisse; je vois que le sommeil te prend; je m’en vais donc te préparer le beau songe que je t’ai promis. C’est entre les constructions du rêve et celles de l’imagination que tu passeras ta vie, sans autre profit que de la passer, car c’est là le seul fruit que l’on puisse en obtenir, le seul but que l’on doit se fixer le matin au réveil. Trop souvent, cette vie, il vous faut la tirer avec les dents : heureux le jour où vous pouvez la mener en vous y attelant ou la charger sur votre dos. Sache enfin que le temps n’est pas plus long pour toi entre ces murs qu’il ne l’est dans ses salons et ses jardins pour celui qui t’opprime. Sur ce, adieu.

le tasse. - Écoute-moi encore un instant. Ta conversation m’est d’un grand réconfort ; elle ne met certes pas un terme à ma tristesse, qui est comme une nuit obscure, sans étoiles et sans lune ; mais lorsque tu es près de moi, elle se revêt des ombres du crépuscule, plus aimables qu’inquiétantes. Pour que désormais je puisse t’appeler lorsque j’en aurai besoin, dis-moi où tu demeures.

PARINI OU DE LA GLOIRE

CHAPITRE VI

Les hommes d’étude, nous le savons, sont comme insatiables de lectures, les plus arides soient-elles, et ils prennent un plaisir continuel à leurs recherches qu’ils poursuivent durant presque tout le jour ; c’est qu’en étudiant et en lisant, ils gardent toujours devant les yeux un but placé dans l’avenir, l’espoir d’un progrès ou d’une amélioration quelconque, et même lorsqu’il leur arrive de lire par désœuvrement ou pour se détendre, ils ne laissent de se proposer, en plus du plaisir immédiat, quelque profit plus ou moins clairement déterminé. Les autres, qui n’envisagent dans leur lecture aucune fin qui ne déborde les limites de la lecture même, sont rassasiés, dès les premières pages, des ouvrages les plus charmants; et, n’en retirant qu’un vain plaisir, ils ne font que passer de livre en livre avec dégoût, et pour la plupart finissent par s’étonner que l’on puisse tirer d’une longue lecture un long plaisir. Tu peux donc constater qu’en ce qui concerne cette catégorie de lecteurs, numériquement la plus importante, tout l’art de l’écrivain, toute son habileté et toutes ses peines ont presque été employés en pure perte. Quant aux hommes d’étude eux-mêmes, une fois qu’avec les années leurs centres d’intérêt, comme il arrive souvent, se sont modifiés, ils éprouvent beaucoup de peine à lire des ouvrages qui les ont transportés de joie dans le passé, ou qui auraient pu le faire s’ils les avaient lus alors; et bien qu’ayant toujours l’intelligence et le discernement nécessaire pour en mesurer la valeur, ils n’en retirent que de l’ennui parce qu’ils n’en attendent aucune utilité.

CHAPITRE VII

Jusqu’ici nous avons parlé de l’écriture en général surtout de ce qui concerne la littérature, à l'étude de laquelle tu me sembles plus particulièrement t’intéresser Nous allons parler maintenant de la philosophie, sans vouloir toutefois séparer ces deux disciplines, d’autant que la première dépend totalement de la seconde. Peut-être penseras-tu que la philosophie dérivant de la raison, à laquelle l’ensemble des hommes civilisés participe peut-être plus qu’à l’imagination et à la sensibilité, le mérite des œuvres philosophiques doit être reconnu plus aisément et plus largement que celui des œuvres poétiques et des autres écrits tournés vers l’agrément et l’esthétique. Pour ma part, j’estime qu’il est à peine moins rare pour une œuvre philosophique que pour une œuvre littéraire de trouver à leur endroit un jugement équitable et une sensibilité parfaitement adaptée. D’abord, il est sûr que pour faire des avancées notables en philosophie, il ne suffit pas de faire preuve de finesse intellectuelle ou d'une grande puissance de raisonnement; il faut aussi une grande force d’imagination. Ainsi Descartes, Galilée, Leibnitz, Newton, Vico, de par les prédispositions innées de leur esprit, auraient pu devenir d’excellents poètes, tout comme, à l’inverse, Homère, Dante et Shakespeare auraient pu faire d’excellents philosophes. Mais voilà un sujet qui, si nous devions le traiter à fond, nécessiterait de longs développements qui nous entraîneraient trop loin; aussi préféré-je me contenter de l’indiquer au passage, afin de poursuivre. Je prétends donc que seul un philosophe peut reconnaître la juste valeur des œuvres philosophiques et éprouver du plaisir à les lire. Je veux parler de leur substance, non des beautés accessoires qu’elles peuvent revêtir, notamment en matière de vocabulaire et de style. Donc, de même que les hommes de nature peut-on dire, apoétique, tout en comprenant les mots et le poèmes, n’en perçoivent ni le mouvement ni les images, de même, bien souvent, ceux qui ne sont pas accoutumés à méditer et à philosopher avec eux-mêmes ou qui ne sont pas capables de mener une réflexion approfondie, quelles que soient l’exactitude et la finesse du raisonnement et des conclusions du philosophe et quelle que soit la clarté de leur exposition, comprennent les mots et leur sens immédiat, mais non la vérité de ce qui est dit. En effet, comme ils n’ont pas la faculté ou l’habitude de pénétrer par la pensée dans l’intimité des choses, ni d’analyser leurs propres idées dans leurs moindres composantes, ni de réunir et de lier entre elles un certain nombre de ces idées, ni de saisir d’un seul coup un ensemble de détails pour en faire surgir une notion générale, ni de parcourir sans difficulté, par les yeux de l’intellect, une longue chaîne de vérités interdépendantes, ni de découvrir les liaisons fines et obscures qu’entretient chaque vérité avec cent autres, ils ne peuvent pas facilement — et parfois ne peuvent pas du tout — imiter et reproduire pour eux-mêmes les opérations faites, ni éprouver les impressions ressenties par l’esprit du philosophe, alors que c’est là l’unique moyen de voir, de comprendre et d’apprécier convenablement toutes les causes qui ont conduit ce dernier à porter tel ou tel jugement, à affirmer ceci et à nier cela, à douter de telle chose et non de telle autre. Si bien que, tout en comprenant ses idées, ils ne comprennent pas si celles-ci sont vraies ou simplement possibles car ils n’ont en quelque sorte jamais pu faire l’expérience de leur vérité ou de leur possibilité : ils se trouvent ainsi à peu près dans la même situation que les hommes de tempérament froid avec les images et les sentiments exprimés par les poètes. Tu sais bien que le poète et le philosophe ont en partage la faculté de sonder les profondeurs de l’esprit humain, et d’en ramener au jour les multiples qualités latentes, les démarches, les tendances, et les aboutissements secrets, ainsi que les causes et les effets de chacun de ces éléments : de la sorte, ceux qui sont incapables de sentir en eux la correspondance des pensées poétiques avec le vrai, ne pourront pas non plus sentir, ni connaître, la même correspondance en matière philosophique.

Le résultat s’offre à nous tous les jours : nombre d’œuvres excellentes, également claires et intelligibles pour tous, semblent néanmoins à certains contenir mille vérités profondes et à d’autres, mille erreurs manifestes; si bien qu’on les combat, publiquement et en privé, non seulement par méchanceté, par intérêt ou pour quelque motif similaire, mais aussi par faiblesse d’esprit, par inaptitude à sentir et à comprendre la fermeté de leurs fondements, la netteté des déductions et des conclusions qui en découlent, et en général la pertinence, l’efficacité et la vérité de leur argumentation. Très souvent les œuvres philosophiques les plus admirables sont même accusées d’obscurité, sans que ce soit la faute des écrivains, mais du fait de la profondeur et de la nouveauté des concepts d’une part, et de l’autre, en raison de l’obscurité d’un esprit qui ne peut aucunement les comprendre. Tu mesures donc à quel point il est difficile, dans le genre philosophique également, de recueillir des éloges, si mérités soient-ils. Du reste, tu ne saurais douter, sans même que j’aie à te le dire, que le nombre des philosophes authentiques et profonds, en dehors desquels personne ne peut évaluer justement ceux qui sont tels, se trouve de nos jours extrêmement réduit, même si l’époque actuelle est beaucoup plus éprise de philosophie que les précédentes. Je passe sous silence les différentes factions — puisqu’il faut bien les appeler par ce nom -entre lesquelles se partagent aujourd’hui, comme ils l’ont toujours fait, ceux qui font profession de philosopher : chacune d’elles refuse ordinairement aux autres les louanges et la considération qui leur sont dues, et ce non seulement d’une façon délibérée, mais aussi parce que ce sont d’autres principes qui règlent son esprit.

DIALOGUE DE TIMANDRE ET D'ELEANDRE

timandre. - Vous ne pouvez rien par des actes — bien peu d’ailleurs le peuvent. C’est par vos récits que vous pouvez, et que vous devez, vous rendre utile; mais pas comme dans vos livres en attaquant continuellement l’homme en général. Vous lui faites au contraire le plus grand tort.

éléandre. - Je reconnais que mes livres ne servent pas à grand-chose, mais je nie qu’ils soient nuisibles. Vous croyez qu’on peut rendre service à l’humanité avec des livres?

timandre. - Mais tout le monde croit cela, pas seulement moi.

eleandre. - Avec quels livres alors?

timandre. - Des livres de tous les genres, mais surtout des ouvrages de morale.

eleandre. - Tout le monde n’est pas de cet avis; du reste, il suffit pour cela que moi, je ne le sois pas, comme répliqua un jour une femme à Socrate. Si quelque ouvrage de morale pouvait être utile, je pense que les livres poétiques le pourraient au plus haut point; j’emploie ici le terme «poétique» au sens large, et l’applique à des œuvres destinées à agir sur l’imagination; qu’elles soient rédigées en prose ou en vers. Je tiens en piètre estime une poésie qui, une fois lue et méditée, ne laisserait pas dans l’âme du lecteur une impression assez élevée pour l’empêcher, pendant une demi-heure, de nourrir une pensée vile ou de commettre un acte indigne. Mais si le lecteur trahit son meilleur ami une heure après la lecture, je n’en condamnerais pas pour autant ce qu’il vient de lire, car il faudrait alors condamner les plus belles, les plus émouvantes, et les plus nobles poésies du monde. Encore faut-il exclure de ce propos les lecteurs qui vivent dans les grandes villes et qui, même lorsqu’ils portent attention à ce qu’ils lisent, ne peuvent tirer profit, ne serait-ce qu’une demi-heure, de la lecture d’une œuvre poétique, ni s’en trouver émus ou charmés.

timandre. - Vous parlez méchamment, comme d’habitude, et d’une façon qui laisse entendre que vous êtes ordinairement mal reçu et mal traité par les autres. Telle est en effet la plupart du temps la cause de l’antipathie et du mépris que certains hommes témoignent à l’encontre de leur espèce.

 





Les trois livres de la vie - Marsile Ficin

Les trois livres de la vie - Marsile Ficin

 

CHAPITRE 3

Que les hommes de lettres sont sujets à la pituite, et à la melancholie

Or ne doivent les hommes studieux des bonnes lettres, seulement avoir grand soing des membres susdits, mais aussi sont tenus d’eviter accortement et en soigneuse diligence tousjours la pituite et l’humeur noire de la melancholie, non autrement que les Nochers se gardent de tomber entre Scylle et Charibde Car autant qu’ils sont oyseux du reste du corps, autant sont ils embesongnez du cerveau et de l’enten-dement.

CHAPITRE 4

Combien il y a de causes pour lesquelles les hommes lettrez sont ou deviennent melancholiques

Il y a principalement trois sortes de causes qui font que les hommes lettrez soyent melancholiques. La première est celeste, la seconde naturelle, et la tierce humaine. 

CHAPITRE 5

Pourquoyles melancholiques sont ingénieux et lesquels de ceux-cy sont tels ou autrement

Suffise jusques icy que nous ayons assez demonstrê premièrement par celestes raisons, secondement naturelles, tiercement humâmes, pourquoy les prestres des Muses sont melancholiques ou dés le commencement, ou bien le deviennent par estude. 

CHAPITRE 6

Comment la noire humeur fait les hommes ingénieux
 

(...) Car les esprits estans pressez et reserrez par les conduits plus estroits de telle noire humeur, à cause de l’unité deviennent fort desliez, mesmement par la chaleur, et passans par les plus estroits conduits, sortent plus subtils, puis plus chauds, et en pareil, et par mesme raison plus luisans ; Tieroement agiles en mouvement, et fort vehements en action ï Quartement tousjours sourgeonnans d’une humeur ferment stable, ils servent à l’action fort longtemps.  

Le monde du sexe - Henri Miller

Le monde du sexe - Henry Miller

 

L'artiste, qui est un type de créateur, entre autres (et - non des plus élevés, tant s'en faut), à l'idée fixe—  qu'il le reconnaisse ou non — de recréer le monde, à seule fin, m’apparaît-il, de restaurer l'homme dans son innocence. Cette innocence, il le sait, l'homme n'y parvient que par la liberté.

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Entre-temps, j'ai connu bien d'autres morts et naissances — mais mineures. Seulement, désormais, j'ai le sentiment que les métamorphoses qui pourront intervenir se produiront dans le domaine de l'action, du comportement, de l'exemple, plutôt que dans celui de l'écriture. Il y a donc en cours un conflit titanesque entre l’artiste, résolu à mener à bien sa tâche, et l’homme qui sait au fond de lui-même que rien ne l’oblige plus à exprimer ses conquêtes par le moyen du langage. Il y a bataille en cours, plus ou moins consciemment, entre Devoir et Désir. Cette partie de moi qui appartient au monde voudrait accomplir son devoir ; cette autre qui appartient à Dieu voudrait simplement accomplir ce que l'on requiert d'elle, et qui est ineffable. Je me vois forcé de m'adapter à une lutte, dans un domaine où je me trouve réduit à mes seules ressources. Il me faut écrire rétrospectivement et agir de l’avant.

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 La vie ne commence réellement qu'avec la solitude ;ce qui se passe, lorsqu'on se rassemble, découle purement et simplement de ce qu'on était seul. Les phases essentielles de notre vie, ses points tournants, ont pour ressort le silence. 
 

Ex - Georges Belmont

Ex - Georges Belmont

Je n’existais pas, je me suis créé à mon image. Un jour où les chairs de l’aube commençaient à se peindre sur le grand mur d’en face, j’ai senti que mes yeux étaient devenus de pierre. J’étais né. Pour être il ne faut pas avoir peur du néant. Je suis entré debout dans la maison des morts. Ils m’attendaient en rangs serrés. Sous leurs airs de juges j’ai vu que leur visage était comme le mien, comme le vôtre. De bons vivants en somme. Mais lorsque j’ai voulu parler de ma résurrection ils ont ri. Je leur ai craché à la figure. Cela ne les a pas émus outre mesure, ils ont l’habitude de tendre l’autre face. En secouant la tête ils m’ont regardé sortir. J’y ai mis le temps il est vrai. J’ai dû dépouiller une à une toutes mes peaux, sans prendre de gants. Je m’en suis autorisé pour ne rien ménager lorsqu’ils ont tenté de me barrer l’issue. Ce fut une lutte au couteau. J’ai peut-être tué ; ni plus ni moins qu’un autre, mais je ne m’en vante ni ne m’en cache, voilà la différence. Il arrive qu’on ne soit pas maître de ses mouvements.

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Fréquemment je m’émerveille encore au souvenir de l’aube où je suis parti. J’en ai vu peu d’aussi pures. Tout un jour et la nuit qui suivit j’avais veillé, pendant que la tempête soufflait la pestilence. Dans la chambre, assis au pied d’un mur et équipé sous mon chapeau, sac au dos, colis arrimé, j’attendais l’accalmie. Elle tomba si subitement que je restai un moment étourdi par le choc en retour du silence. Puis je me levai, secouai l’ankylose et sortis. Pas un nuage, une fumée, une vapeur. Le ciel d’une telle limpidité qu’il atteignait à l’abstraction dans la beauté, tranché dans le vif par les arêtes? des architectures, sans transition, sans même l’allusion d’une confusion de verdure interposée à l’horizon. Plus un seul arbre. Deux nettetés face à face. Les couleurs rendues à leur nature absolue, en sorte que chacune d’elles semblait une irritation de sa teinte primaire. Quelques instants je m’arrêtai sur le seuil, ému par cette fureur froide et sacrée. Droite, déserte, fermée, la ville luisait dans sa colère foudroyée et je me souviens d’avoir pensé, en la contemplant une dernière fois, au profil de ma mère sur son lit de mort, dont la véhémence inconnue dans la protestation m’avait tant étonné. Puis je frappai de mon bâton le macadam et me mis en route. Partout les bitumes étaient craquelés et la terre affleurait. Je dus vaincre une nausée quand je m’aperçus que le sol rendait les corps dont il était gorgé. Dans les fissures l’herbe poussait déjà, étrangement drue et crue, piquée d’une flore brutale, d’une égale insolence. Heureusement l’air était vif et frais, le vent avait tourné èt balayé la pestilence. Mais parvenu au pont je vis que le fleuve roulait encore des monceaux de cadavres. De dos, ceux-ci multipliaient de façon effrayante la ressemblance avec mon frère. C’était pire lorsqu’un mouvement du flot les retournait ; alors c’était à moi qu’ils ressemblaient, comme si l’on eût calqué sur chacun d’eux mon masque. Je le sais, car passant la main sur mon visage j’en arrachai cette figuration et, avant de la jeter dans le fleuve, tandis qu’en bas les autres, par l’effet de la crue, semblaient se soulever hors de l’eau comme des carpes pour se la disputer, je pus constater qu’elle portait la marque de toutes les passions. Le geste m’autorisait du moins à croire que je n’étais plus le même, la peur m’a quitté et j’ai continué, foulant de ma cadence le bitume et les morts. Arrivé à la grand-porte d’Occident je chantais. Plus loin j’ai ri à la pensée des romans imbéciles et pompeux qu’on nous a faits de la peste. Il n’y a pas de philosophie dans le fléau, le mal est dans la graine humaine et il veut que des moissons soient perdues ; s’il ne germe pas de lui-même elle l’y force. J’aime les lois que l’homme se refuse à reconnaître pour telles sous prétexte qu’elles ne sont ni sa découverte ni sa fabrication quand même elles le soumettent. Et l'idée que l’arrêt dont venait d’être frappée la vie autour de moi m’avait épargné, peut-être parce que je ne l’avais pas plus souhaité que je ne le contestais, -cette idée, oui, me donnait des ailes. Pendant deux jours rien ne troubla mon allégresse. Tantôt chantant tantôt sifflant ou m’excitant de la parole, j ’avançai dans la plaine et dans ma solitude. Une seule fois, vers le soir du premier jour, je me retournai dans la direction de le ville. Sur l’horizon, aussi loin qu’atteignaient les rayons du couchant, elle étincelait dans leur lumière, de tous ses aciers et ses verres, semblable à une icône abandonnée dans un champ. Peu importait qu’elle fût vide et désolée à présent. Elle s’en trouvait restaurée dans sa beauté et sa sévérité, au même titre que le ciel l’air les sons les couleurs et l’immensité de la plaine. Et l’ivresse que j’en ressentais était comparable, je l’espérais pour lui, à celle qu’avait, dû éprouver autrefois l’architecte en regardai prendre corps et monter son épure, avant que, la fonction en eût souillé l’esprit. 

Sodome et Gomorrhe - Curzio Malaparte

 Sodome et Gomorrhe - Curzio Malaparte

Le jardin perdu
La pensée de la mort m’a dominé dès ma plus tendre enfance et ce n’est qu’en ces dernières années que j’ai réussi à me libérer de cette douce et cruelle servitude. Bien que cette pensée obstinée m’ait aidé à vaincre les nombreux dangers de ma nature, en faisant de moi - ce que je suis aujourd’hui — un homme plus mécontent de lui-même que des autres, je ne saurais lui pardonner d’avoir été la compagne la plus chère et la plus triste persécutrice de mes jeunes ans.
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Ode à la sibylle de Cumes

 Mais ce n’étaient pas là les chemins par où j’avais espéré descendre vivant au pays des morts. Et peut-être n’était-ce pas non plus la saison propice. Vint l’été et ma mère s’étant retirée, comme chaque année, à Pouzzoles pour sa cure de boue, j’obtins de l’accompagner. Ce furent les plus beaux jours de ma vie. Je me levais à l’aube et j’allais errer dans la fraîche lumière du matin parmi les monts et les rivages, le long du golfe de Baies vers le lac d’Aveme et la colline de Cumes. J’ai de cette période un très vague souvenir, comme d’un âge vierge et ancien dont les hommes ont perdu jusqu à la mémoire et qu’il n’est plus accordé à personne de vivre. Le climat propre à cet âge a disparu et beaucoup de choses qui m’étaient alors permises me sont aujourd’hui refusées. Je me découvre des afflictions et des rancœurs que je n’avais pas et je suis en train de m’apercevoir que je ne saurais plus ressusciter quoi que ce soit de ce temps, à l’exception du souvenir. L’âme, non : je me sens devenu méchant même à l’égard de ce qui depuis lors a changé en moi et je n’ai point d’indulgence pour les choses qui changeront encore. Je ne sais qu’envier et non plaindre tous ceux à qui il n’est point accordé de vivre l’expérience de cet âge définitivement mort, de cette métamorphose de l’enfant en homme, et qui un jour se découvriront soudain un cœur expert et fatigué là où naguère battait un cœur ingénu et rêveur, sans avoir souffert la joie de cette mystérieuse et très lente mutation.

Quand je repense à mes errances de colline en colline et de rivage en rivage, cherchant une faille par où pénétrer vivant au royaume des ombres, je me persuade avoir ainsi  dilapidé en peu de jours cette somme de liberté que toute ma vie aurait dû contenir. Je n’ai point de regrets, cependant, et je ne me repens pas d’avoir été peu économe, si cela m’a  permis d’être une fois pleinement libre, ne fût-ce que pour une brève période. Je ne pouvais me rendre compte alors de ma trop généreuse et imprévoyante prodigalité.

mercredi 29 octobre 2025

Le traité du rebelle - Ernst Junger

 Le traité du rebelle - Ernst Junger

 

XII

 

Nous avons nommé deux des plus grandes figures de notre âge, l’Ouvrier et le Soldat inconnu.

Avec le Rebelle, nous en saisissons une troisième, qui se manifeste de plus en plus clairement.

En l’Ouvrier, c’est le principe technique qui s’épanouit, dans l’essai de pénétrer le monde et de régner sur lui comme jamais on ne l’avait fait encore, d’atteindre des ordres de grandeur ou de petitesse que nul œil n’avait encore perçus, de disposer de forces que nul n’avait encore déchaînées. Le Soldat inconnu se tient sur la face d’ombre des opérations militaires : il est le sacrifié qui porte les fardeaux dans les grands déserts de feu et dont l’esprit de bonté et de concorde cimente l’unité, non pas seulement de chaque peuple, mais des peuples entre eux.

Quant au Rebelle, nous appelons ainsi celui qui, isolé et privé de sa patrie par la marche de l’univers, se voit enfin livré au néant. Tel pourrait être le destin d’un grand nombre d’hommes, et même de tous – il faut donc qu’un autre caractère s’y ajoute. C’est que le Rebelle est résolu à la résistance et forme le dessein d’engager la lutte, fût-elle sans espoir. Est rebelle, par conséquent, quiconque est mis par la loi de sa nature en rapport avec la liberté, relation qui l’entraîne dans le temps à une révolte contre l’automatisme et à un refus d’en admettre la conséquence éthique, le fatalisme.

XVI

 Deux qualités sont donc indispensables au Rebelle. Il refuse de se laisser prescrire sa loi par les pouvoirs, qu’ils usent de la propagande ou de la violence. Et il est décidé à se défendre, non seulement au moyen des techniques et des idées du temps, mais en maintenant ouvert l’accès à des pouvoirs bien supérieurs aux forces temporelles, et qui ne peuvent jamais être entièrement résolus en pur mouvement. S’il en est ainsi, il peut courir le risque des forêts.

 

XVII

Nous qualifierons ce retournement de recours aux forêts et celui qui l’exécute de Rebelle. Comme le mot d’Ouvrier, celui-ci embrasse toute une échelle de sens, puisqu’il désigne, avec les formes et les domaines les plus divers, les différents degrés d’un certain comportement. Il n’est pas mauvais que ce terme, l’un des vieux mots de l’Islande, ait déjà, comme tel, son passé, bien qu’il faille le prendre ici dans une acception plus générale. Le « recours aux forêts » y suivait la proscription ; l’homme y proclamait sa décision de s’affirmer par ses seules forces. C’était agir en homme d’honneur : ce l’est encore, quoi que prétendent les lieux communs.

XXI

 La forêt est secrète. Le mot est l’un de ceux, dans notre langage, qui recèlent ses contradictions. Le secret, c’est l’intime, le foyer bien clos, la citadelle de sécurité. Mais c’est aussi le clandestin, et ce sens le rapproche de l’insolite, de l’équivoque. Quand nous rencontrons de telles racines, nous pouvons être sûrs qu’elles trahissent la grande antithèse et l’identité, plus grande encore, de la vie et de la mort, que les mystères s’attachent à déchiffrer.

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L’extrême solitude de l’individu est l’un des traits de notre temps. Il se trouve cerné, enserré, pris par la peur qui le presse de plus en plus, à la manière d’une muraille. Elle se revêt de formes réelles, les prisons, l’esclavage, l’anéantissement d’une troupe encerclée. Cette situation domine ses pensées, ses monologues, peut-être aussi ses notes intimes, en des années où il ne peut se fier à son prochain.

Par ses confins, l’histoire touche à d’autres domaines – celui de la Nature, ou celui des démons, avec ses épouvantes. Mais on pressent aussi la proximité de grandes forces salutaires. Car les horreurs sont coups de clairon, signes d’un danger tout autre que celui dont le conflit historique donne une image trompeuse. Elles ressemblent à des questions toujours plus instantes, dont l’homme est obsédé. Nul ne peut l’exempter d’y répondre.

 XIII

 

Telle est la question première : l’épreuve à laquelle le temps soumet la force de l’homme. Elle s’adresse à sa substance. Tout ce qui se présente à lui d’empires hostiles, d’armes, de détresses, n’a au prix de cette question qu’une valeur secondaire, relève de la mise en scène qui donne corps au drame. Nul doute que l’homme, une fois de plus, l’emporte sur le temps, rejette le Néant dans sa caverne.

L’interrogation présente, entre autres caractères, celui de la solitude. Elle est particulièrement étrange en des temps où fleurit le culte de la communauté. Mais la manière dont le collectif se manifeste, de préférence sous la forme de l’inhumain, est l’une de ces épreuves dont peu d’hommes seront dispensés. Paradoxe analogue à celui-ci : à mesure que s’étendent les conquêtes sur l’espace, la liberté de l’individu se resserre de plus en plus.

La constatation de cette solitude pourrait clore notre chapitre, car que sert-il de traiter de situations auxquelles ni remèdes ni guides spirituels ne peuvent rien ? C’est du moins ce qu’on admet implicitement et il y a de ces sujets que l’on n’aborde qu’à contrecœur. L’un des traits sympathiques de notre contemporain est son dégoût des banalités distinguées, sa froide exigence d’honnêteté intellectuelle. On estimera peut-être un jour que la branche la plus vivace de notre littérature est née des intentions les moins littéraires qui soient : tous ces comptes rendus, lettres, écrits intimes, produits des grandes battues, des encerclements et des équarisseries, de notre monde. On comprendra que l’homme de profundis a plongé dans des abîmes où il touchait aux fondements de l’existence et tenait en échec la tyrannie du doute. Il y a perdu l’angoisse.

 XXX

Quand toutes les institutions deviennent équivoques, voire suspectes, et que dans les églises même on entend prier publiquement, non pour les persécutés, mais pour les persécuteurs, c’est alors que la responsabilité morale passe à l’individu ou, pour mieux dire, à l’individu qui ne s’est pas encore laissé abattre.

Le Rebelle est l’individu concret, agissant dans le cas concret. Il n’a pas besoin de théories, de lois forgées par les juristes du parti, pour savoir où se trouve le droit. Il descend jusqu’aux sources de la moralité, que n’ont pas encore divisées les canaux des institutions. Tout y devient simple, s’il survit en lui quelque pureté. Nous avons vu que la grande surprise des forêts est la rencontre avec soi-même, le noyau inaltérable du moi, l’essence dont se nourrit le phénomène temporel et individuel. Cette rencontre, qui peut tout faire pour la guérison et le triomphe sur la crainte, tient aussi, en morale, le rang le plus haut. Car elle mène jusqu’à cette strate qui fonde toute vie sociale et contient depuis les origines toute communauté. Elle conduit vers cet homme en qui réside, en deçà de l’individuel, notre richesse première, et dont rayonnent les individuations. Cette zone a plus à nous offrir que la communion : là se trouve l’identité : ce dont le symbole de l’éternité donne le pressentiment. Le moi se reconnaît en l’autre : il se conforme à la vieille formule : « Tu es celui-là ! » L’autre peut être la bien-aimée, ou encore le frère, le dolent, le dépourvu. Lui prêtant secours, le moi se fortifie par là même dans l’impérissable. Acte en lequel se confirme la structure morale du monde.

Ce sont faits d’expérience. On ne saurait compter, de nos jours, ceux qui ont dépassé les centres de l’enchaînement nihiliste, les lieux mortels du maelström. Ils savent qu’ailleurs le mécanisme dévoile de plus en plus clairement ses menaces ; l’homme se trouve au centre d’une grande machine, agencée de manière à le détruire. Ils ont aussi dû constater que tout rationalisme mène au mécanisme et tout mécanisme à la torture, comme à sa conséquence logique : ce qu’on ne voyait pas encore au XIXe siècle.

 

 

Lettres portugaises - Guilleragues

 Lettres portugaises - Guilleragues

    Considère mon amour, jusqu'à quel excès tu as manqué de prévoyance. Ah ! malheureux, tu as été trahi, et tu m'as trahie par des espérances trompeuses.

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  Il me semble qu'en nous séparant, il nous a fait tout le mal que nous pouvions craindre; il ne saurait séparer nos coeurs; l'amour, qui est plus puissant que lui, les a unis pour toute notre vie. Si vous prenez quelque intérêt à la mienne, écrivez-moi souvent. Je mérite bien que vous preniez quelque soin de m'apprendre l'état de votre coeur et de votre fortune; surtout venez me voir.

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 N'avezvous jamais fait quelque réflexion sur la manière dont vous m'avez traitée? ne pensez-vous jamais que vous m'avez plus d'obligation qu'à personne du monde? je vous ai aimé comme une insensée; que de mépris j'ai eu pour toutes choses!

Nerval - Aurélia

 Nerval - Aurélia

 

Une ronde de nuit m’entourait : — j’avais alors l’idée que j’étais devenu très grand, — et que, tout inondé de forces électriques, j’allais renverser tout ce qui m’approchait. Il y avait quelque chose de comique dans le soin que je prenais de ménager les forces et la vie des soldats qui m’avaient recueilli.

Si je ne pensais que la mission d’un écrivain est d’analyser sincèrement ce qu’il éprouve dans les graves circonstances de la vie, et si je ne me proposais un but que je crois utile, je m’arrêterais ici, et je n’essayerais pas de décrire ce que j’éprouvai ensuite dans une série de visions insensées peut-être, ou vulgairement maladives… Étendu sur un lit de camp, je crus voir le ciel se dévoiler et s’ouvrir en mille aspects de magnificences inouïes. Le destin de l’Âme délivrée semblait se révéler à moi comme pour me donner le regret d’avoir voulu reprendre pied de toutes les forces de mon esprit sur la terre que j’allais quitter… D’immenses cercles se traçaient dans l’infini, comme les orbes que forme l’eau troublée par la chute d’un corps ; chaque région, peuplée de figures radieuses, se colorait, se mouvait et se fondait tour à tour, et une divinité, toujours la même, rejetait en souriant les masques furtifs de ses diverses incarnations, et se réfugiait enfin insaisissable dans les mystiques splendeurs du ciel d’Asie.

Cette vision céleste, par un de ces phénomènes que tout le monde a pu éprouver dans certains rêves, ne me laissait pas étranger à ce qui se passait autour de moi. Couché sur un lit de camp, j’entendais que les soldats s’entretenaient d’un inconnu arrêté comme moi et dont la voix avait retenti dans la même salle. Par un singulier effet de vibration, il me semblait que cette voix résonnait dans ma poitrine et que mon âme se dédoublait pour ainsi dire, — distinctement partagée entre la vision et la réalité. Un instant, j’eus l’idée de me retourner avec effort vers celui dont il était question, puis je frémis en me rappelant une tradition bien connue en Allemagne, qui dit que chaque homme a un double, et que, lorsqu’il le voit, la mort est proche. — Je fermai les yeux et j’entrai dans un état d’esprit confus où les figures fantasques ou réelles qui m’entouraient se brisaient en mille apparences fugitives. Un instant, je vis près de moi deux de mes amis qui me réclamaient, les soldats me désignèrent ; puis la porte s’ouvrit et quelqu’un de ma taille, dont je ne voyais pas la figure, sortit avec mes amis que je rappelais en vain. — Mais on se trompe ! m’écriais-je, c’est moi qu’ils sont venus chercher et c’est un autre qui sort ! Je fis tant de bruit que l’on me mit au cachot.

Aristote - Ethique à Nicomaque

 Aristote - Ethique à Nicomaque

 

LIVRE I

LE BIEN ET LE BONHEUR

CHAPITRE PREMIER 1: Le bien et l’activité humaine  La hiérarchie des biens

Tout art et toute recherche, de même que toute action et toute délibération réfléchie, tendent, semble-t-il, vers quelque bien. Aussi a-t-on eu parfaitement raison de définir le bien : ce à quoi on tend en toutes circonstances (01) 1. Toutefois il paraît bien qu'il y a une différence entre les fins. 2. Tantôt ce sont des activités qui se déploient pour elles-mêmes ; d'autres fois, en plus de ces activités, il résulte des actes.

CHAPITRE 7: Questions de méthode  — La connaissance des principes

3. Il y a donc un certain nombre de fins, et nous cherchons à atteindre certaines d'entre elles non pour elles-mêmes, mais en vue d'autres fins encore, par exemple, l'argent, les flûtes et en général tous les instruments ; puisqu'il en est ainsi il est évident que toutes les fins ne sont pas des fins parfaites. Mais le bien suprême constitue une fin parfaite, en quelque sorte. Si bien que la fin unique et absolument parfaite serait bien ce que nous cherchons. S'il en existe plusieurs, ce serait alors la plus parfaite de toutes.

6. Le bien suprême, en effet, selon l'opinion commune, se suffit à lui-même. Et quand nous nous exprimons ainsi, nous entendons qu'il s'applique non pas au seul individu, menant une vie solitaire, mais encore aux parents, aux enfants, et, en un mot, aux amis et aux concitoyens, puisque, de par sa nature, l'homme est un être sociable (20).

CHAPITRE VIII : Le bien et l’activité humaine  La hiérarchie des biens

14. Le bonheur est donc le bien le plus pré-cieux, le plus beau et le plus agréable. Et les distinctions que fait l'épigramme de Délos ne sont pas admissibles :
L'action la plus juste est la plus belle ; une bonne santé est chose excellente ;
Mais ce qui est souverainement agréable, c'est ce qu'on brûle d'obtenir. Or tous ces caractères appartiennent aux actions excellentes. Ce sont elles, ou une seule d'entre elles, la meilleure, que nous appelons le bonheur (22).

CHAPITRE XIII : Les facultés de l’âme  Vertus intellectuelles et vertus morales

Puisque le bonheur est une activité de l'âme conforme à une vertu accomplie, portons notre examen sur cette dernière. Ainsi, peut-être, pourrons-nous voir plus clair dans la question du bonheur.

 

LIVRE II

LA VERTU

CHAPITRE PREMIER : La vertu, résultat de l’habitude s’ajoutant à la nature.

La vertu apparaît sous un double aspect, l'un intellectuel, l'autre moral ; la vertu intellectuelle provient en majeure partie de l'instruction, dont elle a besoin pour se manifester et se développer ; aussi exige-t-elle de la pratique et du temps, tandis, que la vertu morale est fille des bonnes habitudes ; de là vient que, par un léger changement, du terme moeurs sort le terme moral (44). 2. Cette constatation montre clairement qu'aucune des vertus morales ne naît naturellement en nous ; en effet, rien ne peut modifier l'habitude donnée par la nature ; par exemple, la pierre qu'entraîne la pesanteur ne peut contracter l'habitude contraire, même si, un nombre incalculable de fois, on la jette en l'air ; le feu monte et ne saurait descendre ; et il en va de même pour tous les corps, qui ne peuvent modifier leur habitude originelle.

4. De plus, pour tout ce qui nous est donné par la nature, nous n'obtenons d'elle que des dispositions, des possibilités ; c'est à nous ensuite à les faire passer à l'acte. Cela est visible en ce qui concerne les sens ; car ce n'est pas par de fréquentes sensations de la vue et de l'ouïe que nous avons acquis ces deux sens ; bien au contraire, nous les possédions déjà et nous les avons employés ; ce n'est pas l'usage qui nous les a donnés. Quant aux vertus, nous les acquérons d'abord par l'exercice, comme il arrive également dans les arts et les métiers. Ce que nous devons exécuter après une étude préalable, nous l'apprenons par la pratique ; par exemple, c'est en bâtissant que l'on devient architecte, en jouant de la cithare que l'on devient citharède. De même, c'est à force de pratiquer la justice, la tempérance et le courage que nous devenons justes, tempérants et courageux.

CHAPITRE III : Vertus et arts — Conditions de l’acte moral

C'est le signe d'une disposition acquise que le plaisir et la peine qui viennent s'ajouter aux actes. En effet, l'homme qui s'abstient des plaisirs des sens et qui se complaît dans cette privation est vraiment tempérant ; au contraire celui qui en souffre est intempérant. Par ailleurs quiconque supporte de terribles périls, tire de son endurance même un plaisir ou du moins n'en souffre pas, est vraiment courageux ; quiconque s'en afflige est lâche. La vertu morale est donc en relation avec le sentiment du plaisir et de la douleur ; le plaisir que nous espérons nous fait agir bassement ; la peine que nous redoutons nous détourne de bien agir.

10. N'oublions pas qu'il est plus difficile de résister au plaisir que de contenir la colère, selon la parole d'Héraclite. Plus une chose est difficile, plus elle exige d'art et de vertu. Dans ce cas, le bien s'appelle le mieux. Nous conclurons donc en disant que toute étude, aussi bien dans le domaine de la vertu que de la science politique, s'intéresse au plaisir et à la peine. L'homme qui saura bien placer ces deux sentiments sera l'homme de bien ; qui les placera mal sera le vicieux.

CHAPITRE IV : Définition générique de la vertu: la vertu est un "habitus".

4. Ainsi donc on qualifie les actions de justes et de tempérées, pour ainsi dire, quand elles sont telles que les accomplirait un homme juste et tempérant. Et l'homme juste et tempérant n'est pas celui qui se contente d'exécuter ces actes, mais celui qui les exécute dans les dispositions d'esprit propres aux hommes justes et tempérants.

CHAPITRE V : Définition spécifique de la vertu: la vertu est un juste milieu.

2. Or, j'appelle passions le désir, la colère, la peur, la témérité, l'envie, la joie, l'amitié, la haine, le regret, l'émulation, la pitié, en un mot tout ce qui s'accompagne de plaisir ou de peine. J'appelle capacités nos possibilités d'éprouver ces passions, par exemple ce qui nous rend propres à ressentir de la colère, ou de la haine, ou de la pitié. Enfin les dispositions nous mettent, eu égard aux passions, dans un état heureux ou fâcheux ; par exemple, en ce qui concerne la colère, si l'on y est trop porté ou insuffisamment, nous nous trouvons en de mauvaises dispositions ; si nous y sommes portés modérément, nous sommes dans d'heureuses dispositions ; il en va ainsi dans d'autres cas. 3. Ainsi donc ni les vertus ni les vices ne sont des passions, car ce n'est pas d'après les passions qu'on nous déclare bons ou mauvais, tandis qu'on le fait d'après les vertus et les vices. On ne se fonde pas non plus sur les passions pour nous décerner l'éloge ou le blâme ; on ne félicite pas l'homme craintif ni l'homme porté à la colère ; le blâme ne s'adresse pas à un homme d'une façon générale, mais selon les circonstances, tandis que c'est d'après les vertus et les vices qu'on nous dispense l'éloge ou le blâme.

CHAPITRE VII : Élude des vertus particulières.

2. Le courage est une juste moyenne entre la crainte et la hardiesse. L'excès dans l'absence de crainte n'a reçu aucun nom — il en est souvent ainsi en grec ; l'excès dans la hardiesse s'appelle témérité. Qui montre un excès de crainte ou un manque de hardiesse, on l'appelle lâche.

CHAPITRE IX : Règles pratiques pour atteindre la vertu

Ainsi donc la vertu morale est une moyenne, dont nous avons précisé les conditions : elle est un milieu entre deux défauts, l'un par excès, l'autre par manque ; sa nature provient du fait qu'elle vise à l'équilibre aussi bien dans les passions que dans les actions. Tout cela, nous l'avons dit suffisamment.

 

LIVRE III

L'ACTIVITÉ VOLONTAIRE.

CHAPITRE PREMIER : Actes volontaires et actes involontaires - De la contrainte. - Actes involontaires résultant de l’ignorance. - Acte volontaire.

24. Posons encore cette question : quelle différence y a-t-il dans les actes involontaires, dont l'erreur provient d'un faux raisonnement ou d'un mouvement de la sensibilité ? 25. Tous deux sont à éviter. Les fautes contre la raison procèdent tout autant que les autres de la nature humaine, si bien que les actes de l'homme proviennent de la colère et du désir. Il est donc absurde de les considérer comme ne provenant pas de notre volonté.

CHAPITRE II : Analyse du choix préférentiel

Après avoir fixé les limites de ce qui est volontaire et involontaire, il nous reste à parler du choix réfléchi. C'est, semble-t-il, un caractère essentiellement propre à la vertu et permettant, mieux que les actes, de porter un jugement sur la valeur morale.

CHAPITRE IV : Analyse du souhait raisonné.

5. En effet, l'agrément, la beauté, le plaisir dépendent des dispositions de chacun. Et ce qui fait peut-être la plus grande originalité de l'homme de bon sens, c'est qu'il discerne, en toutes circonstances, le vrai bien, comme s'il en était lui-même le canon et la mesure (76). En revanche, la plupart des gens sont, semble-t-il, les dupes du plaisir, qui leur fait l'effet du bien, sans l'être. 6. Du moins recherchent-ils comme un bien ce qui est agréable et fuient-ils la douleur comme un mal.

CHAPITRE V : La vertu et le vice sont volontaires.

22. Ainsi donc, nous avons traité des vertus dans leur ensemble; nous avons dit en gros leur nature — elles consistent en une juste moyenne et sont des dispositions acquises —; leur origine — elles sont génératrices d'actes, et par leur propre exercice. Nous avons dit aussi qu'elles dépendaient de nous, qu'elles étaient volontaires et conformes aux prescriptions de la saine raison. 23. Maintenant nous allons reprendre une à une chacune de ces vertus en particulier et nous dirons leur nature, leur objet et leur fonctionne-ment. En même temps, on verra clairement leur nombre. Parlons d'abord du courage.

CHAPITRE XI : La modération, suite.

5. L'excès, en ce qui concerne les plaisirs, est manifestement de l'intempérance et cette conduite est blâmable. En ce qui concerne les chagrins, il n'en va pas comme pour le courage. Pouvoir les supporter ne vous fait pas appeler tempérant, non plus qu'intempérant quand on ne le peut pas. L'intempérance se caractérise par l'affliction disproportionnée qu'on ressent quand on est privé de ce qui fait plaisir — effectivement, on dira que c'est le plaisir qui cause la peine —; le tempérant, au contraire, ne manifeste aucune peine à la privation de ce qui est agréable.

CHAPITRE XII : Dérèglement et lâcheté Comparaison avec l’enfance

L'intempérance paraît dépendre de notre volonté plus que la lâcheté (97). La première est fille du plaisir; la seconde de la douleur. Or le plaisir est souhaitable, tandis que la peine est à fuir.

LIVRE IV

III

§ 31. Les vaniteux de leur côté montrent bien à découvert comme ils sont sots, et comme ils se méconnaissent eux-mêmes; ils prétendent aux choses les plus hautes, comme s'ils en étaient dignes; et leur incapacité ne tarde pas à les démasquer. Ils s'occupent avec la plus grande recherche de leurs vêtements, de leur tournure et de tous ces frivoles avantages. Ils veulent faire éclater aux yeux de tout le monde leur prospérité; et ils en parlent comme s'ils devaient en tirer beaucoup d'honneur.

IX

La honte est étrangère aussi à l’homme de bien, puisqu’elle naît du regret de mauvaises actions.

LIVRE V

I

15 La justice ainsi entendue est une vertu complète, non en soi, mais par rapport à autrui

II

Or ce caractère de vertu accomplie provient du fait suivant : celui qui la possède peut manifester sa vertu également à l'égard d'autrui et non seulement  par rapport à lui-même.

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L’homme qui agit suivant les différentes catégories du mal commet, sans aucun doute l’injustice

V

La loi du talion ne s’accorde ni avec la justice distributive ni avec la justice corrective.

VIII

Ainsi défini, la justice et l’injustice, n’agit injustement ou justement que quand l’action est volontaire

LIVRE VI

I

Il faut adopter le juste milieu et éviter l’excès et le déaut

II

Il y a dans l’âme trois éléments qui déterminent la vérité et l’action : la sensation, la pensée, la tendance.

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La réflexion théorique, qui n’a pas rapport à l’action et qui n’est pas créatrice, a pour conséquence, heureuse ou malheureuse, le vrai et l’erreur

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Or la réflexion par elle-même ne met rien en mouvement, sauf quand elle a un caractère de finalité et qui intéresse l’action. C’est elle alors qui commande aussi la création.

X

La prudence a un caractère impératif – car elle a pour fin de déterminer ce qu’on doit faire ou ne pas faire

LIVRE VII

I

Trois sortes de défaut à éviter : la méchanceté, l’intempérance, la bestialité

III

L’homme dépourvu de maîtrise est il caractérisé seulement par tel ou tel acte qu’il exécute, ou par telle ou telle disposition, ou par les deux choses à la fois.

VII

La bestialité est un mail moindre que la méchanceté

XIII

On s’accorde à dire que la douleur est un mail et qu’il faut le fuir. 

LIVRE III

II

Il semble que tout homme aime ce qui est bon pour lui et que si, absolument parlant, ce qui esy bon est aimable, chacun trouve aimable ce qui est bon pour lui.

IX

amitié et justice se rapportent aux mêmes objets et on des caractères communs.

X

il y a trois espèces de gouvernement : royauté, aristocratie,timocratie.

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la corruption de la royauté, c'est la tyrannie 

LIVRE IX

l'aimité disparait quand ne subsistent plus les conditions qui les avaient inspirées

III

Par contre, si l'on s'est trouvé iniduit en erreur par l'hypocrisie de l'autre, on est justifié à incriminer le simulateur.

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il ne faut pas aimer ce qui est mal et on doit éviter de ressembler aux gens méprisables.

LIVRE X

VI

ainsi le bonheur ne peut consister dans le divertissement